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Je suis d’ailleurs convaincu que, en y[1] corrigeant une trentaine de pages, on aurait émoussé les glaives du fanatisme, et le livre n’y aurait rien perdu. Je l’ai relu plusieurs fois avec la plus grande attention ; j’y ai fait des notes. Si vous le vouliez, on en ferait une seconde édition, dans laquelle on confondrait les ennemis du bon sens.

Il faudrait que vous donnassiez la permission d’éclaircir certaines choses, et d’en supprimer d’autres. Maître Joly de Fleury n’aurait rien à répliquer si on lui coupait les deux mains, et si on lui faisait voir que ce sont ces deux mains[2] qui ont procuré aux hommes les idées de tous les arts ; puisque, sans les deux mains, aucun art n’eût pu être exercé. La main droite de maître Joly de Fleury a écrit un réquisitoire qui pèche contre le sens commun d’un bout à l’autre. Vous avez donné malheureusement prétexte à tous les ennemis de la philosophie, mais il faut partir d’où l’on est.

À votre place, je ne balancerais pas à vendre tout ce que j’ai en France ; il y a de très-belles terres dans mon voisinage, et vous pourriez y cultiver en paix les arts que vous aimez.

Il est bien plaisant, ou plutôt bien impertinent et bien odieux, qu’on persécute dans les Gaules ceux qui n’ont pas dit la centième partie de ce qu’ont dit à Rome les Lucrèce, les Cicéron, les Pline, et tant d’autres grands hommes.

Je vous prie instamment de m’envoyer tout votre poëme[3] ; je vous en dirai mon avis, si vous le voulez, avec la sincérité d’un homme qui aime la vérité, les vers, et votre gloire.

C’est une chose fort triste que le succès de la pièce des Philosophes. Cette prétendue comédie est, en général, bien écrite : c’est son seul mérite ; mais ce mérite est grand dans le temps où nous sommes. Les oppositions qu’on a voulu faire aux représentations n’ont fait qu’irriter la curiosité maligne du public ; il fallait rester tranquille, et la pièce n’aurait pas été jouée trois fois ; elle serait tombée dans le néant de l’oubli, qui engloutit tout ce qui n’est que bien écrit et qui manque de ce sel sans lequel rien ne dure ; mais les philosophes ne savent pas se conduire ; magis magnas clericos non sunt magis magnos sapientes.

  1. Ceci se rapporte au livre d’Helvétius. Les notes que Voltaire y avait faites, sans doute à la marge, sont probablement dans la Bibliothèque impériale de Pétersbourg. (Cl.)
  2. Voyez De l’Esprit, discours I, chap. i.
  3. Le Bonheur. Il ne parut qu’en 1772, quelques mois après la mort de son auteur.