Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/475

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lefranc de Pompignan dit à tout l’univers
Que le roi lit sa prose, et même encor ses vers[1].


Ne faites point l’honneur au ministère d’avoir fait couper la queue au chien d’Alcibiade pour détourner l’attention publique ; il a été servi très-heureusement, mais il n’a rien mis du sien dans cette affaire, et il ne s’est mêlé que de faire nourrir aux dépens du roi, dans le château de la Bastille, le théologal de l’Encyclopèdie[2] pour avoir très-mal à propos fourré la fille du maréchal de Luxembourg dans la querelle de Palissot. Les gens de lettres peuvent fort bien se jeter des pommes cuites au visage, mais il ne faut pas qu’ils en jettent aux Montmorency. Je ne me mêle point de ces querelles. Madame la marquise[3] et M.  le duc de Choiseul m’honorent de leurs bontés ; le roi me protège, et je vis gaiement.

Luc[4] est aux abois ; la nouvelle a couru ce matin dans Genève que le duc de Broglie avait été battu, mais je n’en crois rien, et je crois qu’il battra. Je vous renouvelle, monsieur, mon attachement et mon respect.


4191. — À M.  HELVÉTIUS.
Au château de Tournay, 16 juillet.

J’ai reçu, mon cher philosophe, votre paquet de Voré[5], avec le même plaisir que ressentaient les premiers fidèles quand ils recevaient des nouvelles de leurs frères confesseurs et martyrs. Je suis toujours inconsolable que vous n’ayez pas imité le président de Montesquieu, qui se donna bien de garde de faire imprimer son ouvrage en France[6], et qui se réserva toujours le droit de le désavouer, en cas que les monstres de la bigoterie se soulevassent contre lui.

  1. Vers du Russe à Paris.
  2. L’abbé Morellet, pour sa Vision de Palissot, où se trouvait un trait un peu vif contre la princesse de Robecq, fille du maréchal de Montmorency-Luxembourg.
  3. De Pompadour.
  4. Le roi de Prusse. Une de ses armées avait été battue à Corbac, le 10 juin, par le maréchal de Broglie ; une autre taillée en pièces à Landeshut le 23. Le 12 juillet, Frédéric bombardait Dresde ! Mais Voltaire en était encore aux nouvelles de juin.
  5. Château où Helvétius passait les deux tiers de l’année. Il est situé dans l’ancien Perche, à l’une des extrémités du département de l’Orne, sur la route d’Alençon à Paris par Bellème. (Cl.)
  6. La première édition de l’Esprit des lois avait été imprimée à Genève.