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Vous me dites que Molière a joué Cotin et Ménage : soit ; mais il n’a point dit que Cotin et Ménage enseignaient une morale perverse ; et vous imputez à tous ces messieurs des maximes affreuses dans votre pièce et dans votre préface.

Vous m’assurez que vous n’avez point accusé M. le chevalier de Jaucourt ; cependant c’est lui qui est l’auteur de l’article Gouvernement ; son nom est en grosses lettres à la fin de cet article. Vous en déférez plusieurs traits qui pourraient lui faire grand tort, dépouillés de tout ce qui les précède et qui les suit, mais qui, remis dans leur tout ensemble, sont dignes des Cicéron, des de Thou et des Grotius.

Vous n’ignorez pas d’ailleurs que M. le chevalier de Jaucourt est un homme d’une très-grande maison, et beaucoup plus respectable par ses mœurs que par sa naissance.

Vous voulez rendre odieux un passage de l’excellente Préface que M. d’Alembert a mise au devant de l’Encyclopédie ; et il n’y a pas un mot de ce passage. Vous imputez à M. Diderot ce qui se trouve dans les Lettres juives ; il faut que quelque Abraham Chaumeix vous ait fourni des mémoires comme il en a fourni à M. Joly de Fleury, et qu’il vous ait trompé comme il a trompé ce magistrat. Vous faites plus ; vous joignez à vos accusations contre les plus honnêtes gens du monde des horreurs tirées de je ne sais quelle brochure intitulée la Vie heureuse, qu’un fou, nommé La Mettrie, composa un jour, étant ivre, à Berlin, il y a plus de douze ans. Cette sottise de La Mettrie, oubliée pour jamais, et que vous faites revivre, n’a pas plus de rapport avec la philosophie et l’Encyclopédie que le Portier des Chartreux n’en a avec l’Histoire de l’Église ; cependant vous joignez toutes ces accusations ensemble. Qu’arrive-t-il ? Votre délation peut tomber entre les mains d’un prince, d’un ministre, d’un magistrat, occupé d’affaires graves, de la reine même, plus occupée encore à faire du bien, à soulager l’indigence, et à qui d’ailleurs les bienséances de la grandeur laissent peu de loisir. On a bien le temps de lire rapidement votre préface, qui contient une feuille ; mais on n’a pas le temps d’examiner, de confronter les ouvrages immenses auxquels vous imputez ces dogmes abominables. On ne sait point qui est ce La Mettrie ; on croit que c’est un des encyclopédistes que vous attaquez, et les innocents peuvent payer pour le criminel, qui n’existe plus. Vous faites donc beaucoup plus de mal que vous ne pensiez et que vous ne vouliez ; et certainement, si vous y réfléchissez de sang-froid, vous devez avoir des remords.