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4163. — À M.  PALISSOT.
Aux Délices, 23 juin.

Vous me faites enrager, monsieur ; j’avais résolu de rire de tout dans mes douces retraites, et vous me contristez. Vous m’accablez de politesses, d’éloges, d’amitiés ; mais vous me faites rougir, quand vous imprimez que je suis supérieur à ceux que vous attaquez. Je crois bien que je fais des vers mieux qu’eux, et même que j’en sais autant qu’eux en fait d’histoire ; mais, sur mon Dieu, sur mon âme, je suis à peine leur écolier dans tout le reste, tout vieux que je suis. Venons à des choses plus sérieuses.

M.  d’Argental m’a assuré, dans ses dernières lettres, que M.  Diderot n’était point reconnu coupable des faits dont vous l’accusez. Une personne non moins digne de foi m’a envoyé un très-long détail de cette aventure, et il se trouve qu’en effet M.  Diderot n’a eu nulle part aux deux lettres condamnables qu’on lui imputait[1]. Encore une fois, je ne le connais point, je ne l’ai jamais vu ; mais il avait entrepris, avec M.  d’Alembert, un ouvrage immortel, un ouvrage nécessaire, et que je consulte tous les jours. Cet ouvrage était d’ailleurs un objet de 300,000 écus dans la librairie ; on le traduisait déjà dans trois ou quatre langues ; questa rabbia, detta gelosia, s’arme contre ce monument cher à la nation, et auquel plus de cinquante personnes de distinction s’empressaient de mettre la main !

Un Abraham Chaumeix s’avise de donner à M.  Joly de Fleury un mémoire contre l’Encyclopédie, dans lequel il fait dire aux auteurs ce qu’ils n’ont point dit, empoisonne ce qu’ils ont dit, et argumente contre ce qu’ils diront. Il cite aussi faussement les Pères de l’Église que le Dictionnaire. M.  de Fleury, accablé d’affaires, a eu le malheur de croire maître Abraham ; le parlement croit M.  Joly de Fleury ; monsieur le chancelier retire le privilège ; les souscripteurs en sont pour leurs avances, les libraires sont ruinés ; M.  Diderot est persécuté. Je me trouve, pour ma part, désigné très-injustement dans le réquisitoire de M.  de Fleury ; et, quoique le public n’ait pas approuvé le réquisitoire, la persécution subsiste, malgré les cris de la nation indignée.

C’est dans ces circonstances odieuses que vous faites votre comédie contre les philosophes ; vous venez les percer quand ils sont sub gladio.

  1. Voyez une note sur la lettre 4142.