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vers plus de bien qu’il n’en mérite. Et si pendant la présente guerre, dont je le regarde comme le promoteur, je ne l’ai pas épargné dans quelques pièces, c’est qu’il m’avait outré, et que je me défends de toutes mes armes, quelque mal affilées qu’elles soient. Ces rogatons ne sont d’ailleurs connus de personne. Je ne comprends donc rien à ces personnalités, à moins que par là vous ne désigniez la Pompadour.

Je ne crois cependant pas qu’un roi de Prusse ait des ménagements à garder avec une demoiselle Poisson, surtout si elle est arrogante, et qu’elle manque à ce qu’elle doit de respect à des têtes couronnées.

Voilà ma confession, voilà tout ce que je pourrais dire à Minos, à Rhadamante, si j’étais obligé de comparaître à leur tribunal. Mais on me fait parler souvent sans que j’aie ouvert la bouche. On peut avoir mis sur mon compte des choses auxquelles je n’ai pas pensé. Ce sont des tours dont la cour de Vienne s’est souvent servie, et qui dans plus d’une occasion lui ont réussi.

Cette tracasserie, dans le fond, ne vaut pas la peine que j’en parle davantage. Vous faut-il des douceurs ? à la bonne heure ; je vous dirai des vérités. J’estime en vous le plus beau génie que les siècles aient porté ; j’admire vos vers, j’aime votre prose, surtout ces petites pièces détachées de vos Mélanges de littérature. Jamais aucun auteur avant vous n’a eu le tact aussi fin, ni le goût aussi sûr, aussi délicat que vous l’avez. Vous êtes charmant dans la conversation ; vous savez instruire et amuser en même temps. Vous êtes la créature la plus séduisante que je connaisse, capable de vous faire aimer de tout le monde, quand vous le voulez. Vous avez tant de grâces dans l’esprit que vous pouvez offenser et mériter en même temps l’indulgence de ceux qui vous connaissent. Enfin vous seriez parfait si vous n’étiez pas homme.

Contentez-vous de ce panégyrique abrégé. Voilà toutes les louanges que vous aurez de moi aujourd’hui. J’ai des ordres à donner, des lieux à reconnaître, des dispositions à faire, et des dépêches à dicter.

Je recommande M. le comte de Tournay à la protection de son ange gardien, de la très-sainte et immaculée Vierge, et du chevalier puîné du pendu. Vale.


Fédéric.

P. S. Pour vous amuser peut-être, je joins à ma lettre un petit morceau, comme dit notre bon d’Argens. J’ai composé ce morceau pour un Suisse qui sert depuis un an dans mon artillerie[1]. Cet honnête Suisse ayant fait tourner dans sa garnison, à Breda, la tête à une belle Hollandaise, il m’a demandé à différentes reprises la permission de l’épouser quand notre paix serait faite. Je l’accorde enfin ; mais la belle, se mourant d’amour, n’a pas voulu attendre si longtemps, et le bel amour s’est envolé à tire-d’aile. Ô tempus ! ô mores ! Vous voyez que je n’oublie pas mon latin.

  1. Il s’agit de l’Epître à Phyllis, faite pour l’usage d’un Suisse. On la trouvera dans les Œuvres posthumes de Frédéric II.