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de M.  Lefranc de Pompignan ; je demande l’Interprétation de la Nature[1], ""la Vie heureuse"" de l’infortuné La Mettrie, etc., etc.

Je réitère mes sanglots sur la Vision ; cette vision est celle de la ruine de Jérusalem. Voilà la philosophie perdue et en horreur aux yeux de ceux qui ne l’auraient pas persécutée. Ô ciel ! attaquer les femmes ! insultera la fille d’un Montmorency ! à une femme expirante ! Je suis réellement au désespoir.

M.  d’Alembert croit m’apprendre que M.  le duc de Choiseul protège Palissot et Fréron, Hélas ! j’en sais plus que lui sur tout cela, et je peux répondre que M.  le duc de Choiseul aurait protégé davantage les pauvres Socrates ; et je vous prie de le lui dire. Il m’écrit que les philosophes sont unis, et moi, je lui soutiens qu’il n’en est rien ; quand ils souperont deux fois par semaine ensemhle, je le croirai. On cherche à les diviser ; on va jusqu’à m’appeler l’oracle des philosophes, pour me faire brûler le premier. On ose dire, dans la Préface de Palissot, que je suis au-dessus d’eux ; et moi je dis, j’écris qu’ils sont mes maîtres. Quelle comparaison, bon Dieu ! des lumières et des connaissances des d’Alembert et des Diderot avec mes faibles lueurs ! Ce que j’ai au-dessus d’eux est de rire et de faire rire aux dépens de leurs ennemis ; rien n’est si sain : c’est une ordonnance de Tronchin.

Écrivez-moi, mon ancien ami ; voyez Protagoras-d’Alembert, et venez aux Délices.


4155. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
19 juin.

Mon divin ange, je peux encore quelquefois penser avec ma tête, mais je ne peux pas toujours écrire avec ma main ; ainsi pardonnez-moi si je vous dis par la main d’un autre que je suis excédé par les travaux de la campagne et par les sottises du Parnasse. Je suis très-fort de votre avis ; voilà assez de plaisanteries. Je vais revoir dès demain Mèdime et Tancrède. Il y a grande apparence que la copie de Tancrède est entre les mains d’un ami de M.  le duc de Choiseul ou de madame la duchesse ; que par conséquent cet ami sera fidèle. Tout ce que je puis faire est d’être docile à vos ordres, et de travailler tant que ma pauvre tête le permettra. Si je fais quelque chose dont je sois content, je vous

  1. Pensées sur l’interprétation de la nature. Cet ouvrage est de Diderot. Il parut au commencement de 1754.