Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/416

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
4142. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 4 juin.

Mon divin ange, la paix sera aussi difficile à établir parmi les gens de lettres qu’entre la France et l’Angleterre.

Palissot m’envoie sa pièce, et m’écrit. Jugez de sa lettre par ma réponse. Je prends la liberté de vous l’adresser, et en même temps je vous conjure de me dire s’il est vrai que Diderot ait fait deux libelles contre Mmes  de Robecq et de La Marck[1]. Cela peut être vrai, mais cela n’est pas possible.

Vous pourriez bien, avant d’envoyer ma réponse à Palissot, la faire transcrire, ne varietur : car je dois craindre qu’on ne me reproche d’être complice de la comédie des Philosophes. Dieu soit loué qu’on ne joue point Médime ! elle viendrait mal à propos ; elle serait sifflée. Il est très-heureux, très-décent, qu’on ne me joue pas après les Philosophes.

D’ailleurs, mon cher ange, je suis à vos ordres. Décidez pour Socrate, pour l’Écossaise ; je ferai tout ce qu’il faudra. Je suis en train d’aimer le tripot, et de rire.

N’abandonnons point le Droit de cuissage ; il me semble qu’on en peut faire quelque chose de très-intéressant. Le IVe « et le Ve étaient à la glace[2] ; mais en quinze jours on ne peut avoir un feu égal dans son fourneau.

Cela ne ressemblera point à Nanine. Pourquoi ne feriez-vous point jouer Rome sauvée ? Mais avez-vous des acteurs ? Si vous n’en avez point pour Catilina, vous n’en aurez pas pour la Mort de César ; et vice versa.

Mon cher ange, comment se porte Mme  Scaliger ?

  1. Palissot avait écrit à Voltaire, le 28 mai 1760, qu’il donnait le nom de faux philosophe « à celui qui, à la tête d’une traduction du Vero Amico et du Padre di famiglia de Goldoni, a osé imprimer deux libelles scandaleux contre deux dames infiniment respectables ». Comme Diderot est auteur du drame du Père de famille, qu’on disait une copie de Goldoni, Voltaire crut qu’il s’agissait de Diderot ; en 1758 avaient paru des traductions, par Deleyre, du Père de famille et du Véritable Ami, de Goldoni. Grimm, qui en fut éditeur (voyez la seconde édition du Dictionnaire des anonymes de Barbier, n° 14025), y mit deux épîtres dédicatoires satiriques adressées à la princesse de Robecq et à la comtesse de La Marck. Ces dames voulaient faire punir l’auteur des dédicaces. Diderot, pour calmer les offensées, se donna pour le coupable. Mmes  de Robecq et de La Marck apprirent bientôt après que Diderot s’était chargé du délit de Grimm, et l’affaire n’eut pas de suite. (B.)
  2. Le Droit du Seigneur, d’abord en cinq actes, a ensuite été réduit en trois ; voyez tome VI, page 3.