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4140. — À M.  LE CONSEILLER TRONCHIN[1].
2 juin.

Rien n’est plus beau à présent que votre pays ; comptez que les billets de confession, les convulsions, les remontrances, et Rousseau Jean-Jacques marchant à quatre pattes sur le théâtre de Paris, et les édits de Silhouette, etc., etc., ne valent pas nos charmants paysages.

Vos petits secours viennent bien à propos. Votre argent hérétique sera employé à bâtir une petite église catholique ; il faut se faire des amis du Mammon d’iniquité, comme dit l’autre. Je vous écris avant que la poste d’Allemagne soit arrivée. Ainsi, vous n’aurez point de nouvelles, du moins par moi, des ours et des tigres qui jouent de la griffe en Silésie.


4141. — À FRÉDÉRIC II. ROI DE PRUSSE[2].
Aux Délices, 3 juin 1760.

Sire, le vieux Suisse ; bavard prend peut-être mal son temps : mais il sait que Votre Majesté peut, en donnant bataille, lire des lettres et y répondre.

Je ne savais d’abord ce que voulait dire le petit article de votre main, touchant les gens qui lisent des lettres dans les rues et dans les marchés[3].

1° Je ne vais jamais dans les rues, je ne vais jamais à Genève.

2° Il n’y a dans Genève que des gens qui se feraient hacher pour Votre Majesté. Nous avons un cordonnier qui bat sa femme quand il vous arrive quelque échec ; et mon serrurier, qui est Allemand, dit qu’il tordrait le cou à sa femme et à ses trois enfants pour votre prospérité. Il faut, dit-il, avoir bien peu de rellichion pour penser autrement.

3° Il n’y a ni cordonnier, ni serrurier, ni prêtre, ni personne au monde, à qui j’aie jamais lu une ligne de Votre Majesté.

4° Il se peut que j’aie répété quelques-uns de vos bons mots à vos idolâtres, et que le faux zèle les ait répétés, et que quelque animal les ait rapportés tout de travers. Ce sont discours en l’air.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Der Freymuthige. Berlin, 1803, pages 29 et 30.
  3. Voyez la fin de la lettre n° 4120.