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me mandez de l’opprobre de ma patrie[1] m’afflige sans me surprendre. Vous avez réparé cette honte en m’envoyant Rasselas[2], qui m’a paru d’une philosophie aimable, et très-bien écrit. Vous ne quitterez point Paris, madame ; on ne s’arrache point ainsi aux lieux où l’on doit plaire et où l’on est toujours bercé de quelque espérance. Les villes de province sont insipides et tracassières. La campagne n’est bonne que quand on a le bonheur de la cultiver, et c’est un goût qu’on ne se donne pas : car on ne se donne rien.

Si vous étiez déterminée à la retraite, vous pourriez en trouver une pour cent écus par an, à une demi-lieue de Genève. Il y a un petit jardin ; la maison est meublée, et mal meublée. L’hiver y serait dur. Croiriez-vous pourtant qu’un neveu de M.  de Montmartel occupe à présent ce taudis pour être à portée de M.  Tronchin, dont il croit avoir besoin, quoiqu’il ait fait à cheval le voyage de Paris à Genève ? Nous sommes cinq maîtres aux Délices : ma nièce ; Mme  de Bazincourt, fille de votre âge, jouant la comédie, faisant de petits vers, travaillant en tapisserie, et s’étant consacrée à la retraite ; un neveu ; un géomètre, qui fait des cadrans au soleil et des vers, et enfin moi chétif. La maison est pleine, et vous me faites bien souhaiter qu’elle fût plus grande. Je ferai l’impossible pour la mettre en état de vous recevoir, si jamais vous donnez la préférence sur le Languedoc et la Bourgogne à notre beau lac de Genève, à la plus belle vue de l’univers, à un pays libre et tranquille, où la nature est riante et où la raison n’est point persécutée.

Soyez persuadée, madame, de la respectueuse estime du Suisse V.


4125. — DE M.  CLÉMENT, DE DIJON.
Dijon, 17 mai 1760.

Monsieur, permettez qu’un de ceux qui aiment le plus les belles-lettres sans pouvoir les cultiver, et les génies qui les cultivent avec succès, vous renouvelle aujourd’hui des hommages sincères qui le flattent plus que vous. Les sentiments que mon ingénuité vous a découverts ont paru vous toucher ; je suis assez payé de ma tendresse, si vous l’avez sentie comme moi.

La bonté que vous m’avez témoignée m’engage à vous demander une grâce. Dans quelques moments que de tristes occupations laissent à mon goût pour la poésie, j’ai eu le dessein téméraire d’entreprendre une tragédie sur le sujet le plus singulier et le plus intéressant qui soit peut-être dans

  1. Il s’agit de la comédie des Philosophes.
  2. Roman de Samuel Johnson, traduit par Mme  Belot.