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vailler aux grands chemins tous ces animaux-là, jésuites, jansénistes, avec un collier de fer au cou, et qu’on donnât l’intendance de l’ouvrage à quelque brave et honnête déiste, bon serviteur de Dieu et du roi. Vous me demanderez pourquoi je veux faire travailler ainsi jésuites et jansénistes : c’est que je fais actuellement une belle terrasse sur le grand chemin de Lyon, et que je manque d’ouvriers.

M. de Paulmy est-il parti avec M. Hennin, pour aller faire la Saint-Hubert avec le roi de Pologne ? Il verra là vraiment une cour bien gaie et bien opulente, et un roi qui a bravement défendu son État.

On parle beaucoup de paix, à ce que je vois ; mais les Anglais envoient dix-huit mille négociateurs en Allemagne pour rédiger les articles, et arment une forte escadre pour en aller porter la nouvelle à Pondichéry.

Le roi de Prusse mettra en vers l’histoire du congrès, et la dédiera à Gresset ou à Baculard ; en attendant, il est un peu pressé par les Russes et les Autrichiens. On prépare cependant de beaux divertissements à Vienne, pour le mariage de l’archiduc[1]. Il est bien digne de la majesté autrichienne de donner des fêtes, au lieu d’envoyer l’héritier des césars à l’armée du maréchal Daun s’abaisser à voir tirer du canon. Cela est bon pour un petit marquis de Brandebourg, mais non pour le petit-fils de Charles VI.

Il me vient quelquefois des Russes, des Anglais, des Allemands ; ils se moquent tous prodigieusement de nous, de nos vaisseaux, de notre vaisselle[2], de nos sottises en tout genre. Cela me fait d’autant plus de peine, à moi qui suis bon Français, que l’on ne me paye point mes rentes. Plaignez-moi, car, depuis quelque temps, je suis en guerre pour des droits de terre : Qui terre a, et qui plume a, guerre a. Cela ne m’empêche ni de planter, ni de bâtir, ni de faire jouer la comédie, ni de faire bonne chère. Je suis seulement fâché que mon ami Falkener soit mort ; je perds tous mes anciens amis. Restez-moi, et, puisque vous n’êtes pas homme à venir aux Délices, consolez-moi de votre absence en me disant tout ce que vous pensez, tout ce que vous voyez, tout ce que vous croyez, tout ce que vous ne croyez pas ; et, sur ce, je vous embrasse de tout mon cœur.

  1. Joseph-Benoit-Auguste, empereur, en 1765, sous le nom de Joseph II. Le 6 octobre 1760, il épousa Élisabeth de Parme, petite-fille de Louis XV.
  2. Voyez une note de la lettre 3986.