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souvient, beaucoup plus robuste que moi, et je m’imagine que vous vivrez autant qu’Aurengzeb[1]. Il me semble que la vie est assez longue dans l’Inde, quand on est accoutumé aux chaleurs du pays.

On m’a dit que plusieurs rajas et plusieurs omras ont vécu près d’un siècle ; nos grands seigneurs et nos rois n’ont pas encore trouvé ce secret. Quoi qu’il en soit, je vous souhaite une vie longue et heureuse. Je présume que vos enfants vous procureront une vieillesse agréable. Vous devez sans doute vivre avec beaucoup d’aisance ; ce ne serait pas la peine d’être dans l’Inde pour n’y être pas riche. Il est vrai que la Compagnie ne l’est point : elle ne s’est pas enrichie par le commerce, et les guerres l’ont ruinée ; mais un membre du conseil ne doit pas se sentir de ces infortunes.

Je vous prie de m’instruire de tout ce qui vous regarde, de la vie que vous menez, de vos occupations, de vos plaisirs, et de vos espérances. Je m’intéresse véritablement à vous, et je vous prie de croire que c’est du fond de mon cœur que je serai toute ma vie, monsieur, votre, etc.


4104. — À MADAME D’ÉPINAI.
25 Avril.

Je ne vous ai point encore remerciée, ma belle philosophe, de votre jolie lettre et de votre pierre philosophale : car c’est la vraie pierre philosophale que la multiplication du blé dont vous m’avez envoyé le secret. J’irai présenter la première gerbe devant votre portrait, au temple d’Esculape[2], à Genève. Ce portrait sera mon tableau d’autel ; j’en fais bien plus de cas que de l’image de mon ami Confucius. Ce Confucius est, à la vérité, un très-bon homme, ami de la raison, ennemi de l’enthousiasme, respirant la douceur et la paix, et ne mêlant point le mensonge avec la vérité ; mais vous avez tout cela comme lui, et vous possédez de plus deux grands yeux, très-préférables à ses yeux de chat et à sa barbe en pointe. Confucius est un bavard qui dit toujours la même chose, et vous êtes pleine d’imagination et de grâce. Vous êtes probablement, madame, aujourd’hui dans votre belle terre où vous faites les délices de ceux qui ont l’honneur de vivre avec vous, et où vous ne voyez point les sottises de Paris ; elles me pa-

  1. Voyez la lettre 4230.
  2. Chez Tronchin, dont Liotard avait aussi fait le portrait.