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je ne serai pas longtemps in terra viventium. Mes maladies augmentent tous les jours. La nature s’est avisée de faire à mon âme un très-mauvais étui ; mais je lui pardonne de tout mon cœur, puisque cela entrait nécessairement dans le plan du meilleur des mondes possibles.

J’ai l’honneur de vous envoyer, comme je peux, par les marchands de Genève, le Bolingbroke[1]. Pour ma tragédie suisse, je ne peux la faire partir, pour deux raisons : la première, parce que je ne la crois point bonne ; la seconde, c’est que, toute mauvaise qu’elle est, mes amis, qui ont la rage du théâtre, veulent la faire jouer à Paris. Mais je vous envoie, en récompense, une comédie[2] qui n’est pas dans le goût français ; je souhaite qu’elle soit dans le vôtre. Les lettres que vous daignez m’écrire me font désirer de vous plaire plus qu’au parterre de notre grande ville.

J’ai l’honneur d’être, monsieur, sans cérémonie, mais avec la plus grande vérité, votre, etc.


4067. — À M.  LE PRÉSIDENT DE BROSSES[3].
10 mars 1760, à Tournay.

Monsieur Jalabert[4], monsieur, m’a donné les Fétiches ; je l’avais déjà des mains des Cramer, mais alors je n’en soupçonnais pas l’auteur. J’ignore quel est cet honnête homme, mais il a raison, quel qu’il soit. Tout est fétiches, jusqu’à du pain. Les uns les prennent dans leur jardin, les autres au four. Je crois que mon fétiche, à présent, est M.  Tronchin, car je n’en peux plus.

Je suis pourtant toujours occupé des choses terrestres ; je ne saurais digérer la pancarte par laquelle on m’ordonne incivilement de payer, sous peine de saisie, environ 600 livres tournois pour un Suisse dont je ne donnerais pas deux écus. Je ne conçois pas pourquoi on veut toujours que je sois le haut-justicier malgré lui. Il me semble que la Perrière ne produit ni honneur ni profit. Il y a quatre mois que je cherche un exemple de jugement rendu en ce lieu au nom du haut-justicier, et je n’en vois point. Il n’est point question dans vos aveux et dénombrement

  1. Voltaire faisait passer des ouvrages anglais à Albergati, comme on le voit par la lettre 4195.
  2. La Femme qui a raison.
  3. Éditeur, Th. Foisset.
  4. Savant physicien de Genève, fort lié avec le président de Brosses.