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dont on s’enivre ici, et je n’ai heureusement pas eu le temps depuis mon retour de reprendre les goûts exclusifs qui m’y auraient attaché. Que je serais ravi, monsieur, si ce nouveau voyage me fournissait l’occasion de vous être de quelque utilité, et de vous donner des preuves des sentiments que vous m’avez inspirés.

Je compte ne pas rentrer en France sans avoir revu Berlin. Qui se plaît au théâtre, doit aimer jusqu’aux foyers ; c’est du moins mon sentiment. Le hasard m’a rendu spectateur de très-grandes scènes, je passe ma vie à réfléchir sur celles qui ont étonné le monde, et à prévoir celles dont naturellement je vais être le témoin, et il me sera doux d’entendre votre bruyant disciple dire : Quand j’étais un héros, du même ton dont l’abbé de… disait : Quand j’étais un fat.

J’apprends, monsieur, par un de vos amis que je vois souvent, que vous êtes satisfait de votre nouveau domaine, que tout ce qui vous entoure se ressent de votre bonheur. Je vous en félicite, ou, pour mieux dire, j’en félicite l’humanité. La douceur et la tranquillité de votre sort enhardira peut-être ceux que nous avons intérêt de voir suivre vos traces. Vivez, monsieur, donnez-nous des leçons, créez-nous des plaisirs, et croyez que, pour un ingrat, vous ferez toujours mille admirateurs.

Je vous plaindrais pourtant si chacun de ceux qui vous rendent ce qui vous est dû était aussi verbeux que moi ; mais je vous ai vu promener patiemment dans votre jardin une foule de gens que vous ne connaissiez pas, et j’ai dit : J’aurai aussi mon quart d’heure.

J’ai l’honneur, etc.


4052. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
18 février.

L’éloquent Cicéron, madame, sans lequel aucun Français ne peut penser, commençait toujours ses lettres par ces mots : « Si vous vous portez bien, j’en suis bien aise ; pour moi, je me porte bien. »

J’ai le malheur d’être tout le contraire de Cicéron ; si vous vous portez mal, j’en suis fâché ; pour moi, je me porte mal. Heureusement je me suis fait une niche dans laquelle on peut vivre et mourir à sa fantaisie. C’est une consolation que je n’aurais pas eue à Craon, auprès du révérend père Stanislas et de frère Jean des Entommeures de Menoux[1]. C’est encore une grande consolation de s’être formé une société de gens qui ont une âme ferme et un bon cœur ; la chose est rare, même dans Paris. Cependant j’imagine que c’est à peu près ce que vous avez trouvé.

  1. Jésuite, confesseur de Stanislas. — Frère Jean des Entommeures, dont Voltaire lui donne le nom, est le principal acteur dans le chapitre xxvii du livre Ier de Gargantua.