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cette année, et de prendre des arrangements pour nous voir ? Si vous en avez autant d’envie que moi, vous me donnerez des ouvertures sur cela, que je favoriserai de tout mon pouvoir.

Vous me dites de vous mettre au fait de l’aventure de Colini ; la voici : Il aime les femmes comme un fou, et il n’y a pas de mal à cela ; mais les femmes lui tournent la tête, et lui donnent un esprit tracassier qui s’étend jusqu’à ses supérieurs, et qui peut lui être nuisible. Voilà ce que nous avons éprouvé, mon oncle et moi. Je ne doute pas que l’expérience ne le rende plus sage. Je lui ai pardonné de tout mon cœur ces misères. J’ai engagé mon oncle de tout mon pouvoir à lui rendre service ; il y a réussi, j’en ai été enchantée : s’il est sage, voilà sa fortune faite auprès de l’électeur, car il lui fait une pension pour sa vie.

Il paraît ici les Poésies du roi de Prusse, imprimées dans Genève : il ne pourra pas dire que c’est mon oncle qui les a mises au jour : car c’est pour ce beau livre que nous avons essuyé la scène de Francfort. Il y parle avec un très-grand mépris de la religion chrétienne, ce qui déplaît fort à nos protestants genevois et suisses, qui le regardaient comme l’apôtre de leur croyance.

Adieu, monsieur ; venez nous voir cet automne, nous vous jouerons la comédie. Je suis bien sûre de tout le plaisir que vous ferez à mon oncle. Il parle de vous avec la plus tendre amitié, et la nièce vous est tendrement et inviolablement attachée pour la vie.

Gardez-moi le secret sur le portrait que je vous fais des habitants du pays où je suis ; vous sentez que ces choses-là ne doivent jamais nous passer. Embrassez pour moi Mme Dupont : je l’aime toujours.


4035. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1]i.
Aux Délices, 26 janvier.

Madame, si mon petit commerce avec la personne[2] que vous savez trouve quelques épines, il me vaut bien des fleurs de la part de Votre Altesse sérénissime. Je la crois un peu coquette. Ce n’est pas vous, madame, assurément, que je veux dire ; c’est la belle dont Votre Altesse sérénissime favorise les beautés et les prétentions. Elle a fait part de ses amours à un confident[3] qui n’a pas le cœur tendre, et je crois que son amant pourrait être un peu refroidi. Voilà, madame, la première fois que j’ai parlé galanterie au milieu des neiges des Alpes. Je me sens plus à mon aise, et plus dans mon naturel, en parlant, à Votre Altesse sérénissime, des talents de votre auguste famille, des grâces d’Alzire, de

  1. Éditeurs, Bavoux et François.
  2. Frédéric II.
  3. Sans doute l’Angleterre.