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la foule des occupations graves ou gaies qu’il a pu avoir à Paris et à Versailles ; mais je ne suis pas homme à laisser passer le mois de janvier sans renouveler mes hommages à celui qui sera toujours mon héros. Je ne sais pas si, en 1760, son pays aura beaucoup de lauriers et beaucoup d’argent ; mais je sais bien que la statue de Gênes subsiste, que la signature du fils[1] du roi d’Angleterre, forcé à mettre bas les armes, subsiste encore ; et que les bastions du roc de Port-Mahon rendent un témoignage immortel. J’avoue que je ne conçois guère comment on laisse inutile le seul homme qui ait rendu de vrais services. Je devrais pourtant le concevoir très-bien, car je ne vois que de ces exemples, moi historiographe, dans les histoires que je lis et que je compile. Je dis à présent un petit mot de ce siècle, de ce pauvre siècle, de ce siècle des billets de confession, des querelles pour un hôpital, des refus d’un parlement de rendre justice, des assemblées des chambres pour condamner un dictionnaire[2] qu’on n’a pas lu ; de ce beau siècle où, en trois ans de temps, l’État a été ruiné quand nos armées devaient vivre aux dépens de l’Allemagne, etc.

J’aurai du moins le plaisir d’avoir eu raison quand je vous ai regardé comme un homme aussi supérieur qu’aimable. Je crois, à l’âge de soixante et six ans, voir les choses comme elles sont. Je les dirai comme je les vois. La posterità ne dira ciò che vorrà.

Je m’imagine que vous devez être l’ami de M. le duc de Choiseul. Je n’en sais rien, mais je le crois, parce qu’il me paraît avoir quelque chose de votre caractère. Il pense noblement, il rend service sans balancer, il aime le plaisir, il a beaucoup d’esprit, et la hauteur qui s’accorde avec les grâces. Il me semble que c’est l’homme de votre pays le plus fait pour vous.

Il s’est passé bien des choses tristes, extravagantes, comiques, depuis que je n’ai eu l’honneur de vous faire ma cour ; mais c’est à peu près l’histoire de tous les temps : c’est la même pièce qui se joue sur tous les théâtres, avec quelques changements de noms. Quoi qu’il en soit, votre rôle est beau. Conservez-moi vos bontés, monseigneur, et soyez persuadé que si j’avais en main la trompette de la Renommée, ce serait pour vous que je l’emboucherais. Je vous souhaite la continuation de votre gaieté. Jouissez de votre gloire, et riez des sottises d’autrui. Mille respects.


  1. Le duc de Cumberland, fils de George II. Richelieu, en septembre 1757, l’avait forcé à capituler à Closter-Sewern.
  2. L’Encyclopédie.