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sa belle âme était faite pour la vôtre. En qui peut-il mieux placer sa confiance qu’en tous ? N’a-t-il pas de la modestie à lui à penser que c’est le ministère d’Angleterre qui jette les premiers fondements de la paix ? Mais n’y a-t-il pas aussi un peu d’insolence à moi à penser que je crois savoir que c’est M. le duc de Choiseul lui-même qui a tout préparé, et que c’est sur une de ses lettres, envoyée certainement à Londres, que M. Pitt s’est déterminé ? M. le duc de Choiseul lui-même ne m’ôterait pas de la tête qu’il est le premier auteur de la paix que toute l’Europe, excepté Marie-Thérèse, attend avec empressement. Cependant si Luc pouvait être puni avant cette heureuse paix ! si, le chemin de la Lusace et de Berlin étant ouvert par le dernier avantage du général Beck, quelque Haddick[1] pouvait aller visiter Berlin ! Vous voyez, divin ange, que, dans la tragédie, je veux toujours que le crime soit puni.

On parle d’une grande bataille donnée le 6 entre Luc et l’homme à la toque bénite[2] ; on la dit bien meurtrière. Trois lettres en parlent ; il n’y a peut-être pas un mot de vrai ; nous ne le saurons que dans deux jours. Je m’intéresse bien vivement à cette pièce. Dès que les Autrichiens ont un avantage, M. le comte de Kaunitz[3] dit à Mme de Bentinck : « Écrivez vite cela à notre ami. » Dès que Luc a le moindre succès, il me mande : « J’ai frotté les oppresseurs du genre humain. » Cher ange, dans ces horreurs, je suis le seul qui aie de quoi rire ; cependant je ne ris point, et cela à cause des culs noirs, des annuités, des loteries, et de Pondichéry : car sempre temo per Pondichery.

Pour nos Chevaliers[4], ils sont à vos ordres. Il faudra s’attendre aux insultes de ce polisson de Fréron, aux cris de la canaille. Je me préparerai à tout en faisant mes Pâques dans ma paroisse : je veux me donner ce petit plaisir en digne seigneur châtelain. Et ce M. d’Espagnac ! quel homme ! quel grand chambrier ! quel minutieux seigneur ! Il ne finira donc jamais ? Mais, à propos, je vous prépare des gantelets, des gages de bataille pour Pâques. Et pourquoi ne pas jouer Rome sauvée sur votre vaste théâtre

  1. Haddick, entré à Berlin le 16 octobre 1757, avec quatre mille hommes seulement, y avait levé, au nom de Marie-Thérèse, une contribution de 800,000 fr. Tottleben, l’un des généraux d’Elisabeth, exécuta un semblable coup de main sur Berlin le 9 octobre 1769.
  2. Daun.
  3. Venceslas de Kaunitz-Rietberg, qui porta plus tard le titre de prince. Il avait beaucoup contribué au traité de 1756, si funeste à la France.
  4. Tancrède.