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crire à Votre Altesse sérénissime, touchant votre banquier de Leipsick[1], et son compte était dans une lettre jointe à ce billet d’avis. Votre Altesse sérénissime sait combien les temps sont difficiles. L’argent et les cœurs se resserrent quand la poudre à canon se dilate : c’est une expérience de physique qui n’est aujourd’hui que trop commune. J’ai peur d’ailleurs que votre banquier, madame, n’ait eu trop de confiance, et qu’il n’ait perdu le moment de s’accommoder avec ses créanciers[2]. Et j’avoue que je crains qu’un jour vous ne souffriez quelque perte de la faillite à laquelle il est exposé. Mais les affaires de votre auguste maison sont si bien réglées, votre prudence et celle de monseigneur le duc les gouverne avec une économie si sage, et en même temps si noble, que Vos Altesses sérénissimes ne peuvent souffrir beaucoup des malheurs des particuliers. Pour les affaires publiques, je ne sais rien de nouveau depuis la perte qu’ont faite les Français de leur vaisselle et de leurs flottes. Voilà de bons catholiques privés de morue pour leur carême, et n’ayant plus de castors pour couvrir leurs têtes, qu’on disait légères et qui sont à présent appesanties.

Je ne sais rien de la position du roi de Prusse depuis l’aventure de Maxen. J’ignore s’il est vrai que les Prusses rentrent en Silésie ; tout ce que je sais, c’est que je voudrais que la grande maîtresse des cœurs me présentât un matin à Votre Altesse sérénissime, et mît à ses pieds son courtisan, pénétré du plus profond respect.


3996. — À MADAME LA COMTESSE DE LUTZELBOURG.
Aux Délices, 9 décembre.

Dès que Colini sera prêt à partir, madame, je lui enverrai assurément une lettre pour l’électeur palatin, dont on prétend que le pays commence à être exposé aux visites des Hanovriens. Il faut avouer que jusqu’ici la France ne sert pas trop bien ses amis. Je n’imiterai pas ce triste exemple ; je servirai Colini de tout mon cœur. Vous me paraissez depuis longtemps, madame, détachée tout à fait de Marie-Thérèse ; les grandes passions s’usent ; celle que vous avez pour le roi de Prusse s’usera de même. Je crois avoir trouvé le secret de n’avoir aucune passion pour tous ces gens-là : c’est d’être si occupé de mes moutons, de mes

  1. Frédéric II.
  2. Ses ennemis.