Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/258

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

viable, ennemi dangereux, et grand convertisseur. Je me tiens plus habile que lui, puisque, sans être jésuite, je me suis fait une petite retraite de deux lieues de pays à moi appartenantes. J’en ai l’obligation à M. le duc de Choiseul, le plus généreux des hommes. Libre et indépendant, je ne me troquerais pas contre le général des jésuites.

Jouissez, madame, des douceurs d’une vie tout opposée ; conversez avec vos amis ; nourrissez votre âme. Les charrues qui fendent la terre, les troupeaux qui l’engraissent, les greniers et les pressoirs, les prairies qui bordent les forêts, ne valent pas un moment de votre conversation.

Quand il gèlera bien fort, lorsqu’on ne pourra plus se battre ni en Canada ni en Allemagne ; quand on aura passé quinze jours sans avoir un nouveau ministre ou un nouvel édit, quand la conversation ne roulera plus sur les malheurs publics, quand vous n’aurez rien à faire, donnez-moi vos ordres, madame, et je vous enverrai de quoi vous amuser et de quoi me censurer.

Je voudrais pouvoir vous apporter ces pauvretés moi-même, et jouir de la consolation de vous revoir ; mais je n’aime ni Paris, ni la vie qu’on y mène, ni la figure que j’y ferais, ni même celle qu’on y fait. Je dois aimer, madame, la retraite et vous. Je vous présente mon très-tendre respect.


3991. — À M. THIERIOT.
Aux Délices, 5 décembre.

Ermite de l’Arsenal, l’ermite de Tournay et des Délices est dictateur, parce qu’il a mal aux yeux. Vous m’écrivez toujours à Genève, comme si j’étais un parpaillot ; mettez par Genève, s’il vous plaît. Je ne veux pas que l’enchanteur qui fera mon histoire prétende, sur la foi de vos lettres, que j’ai fait abjuration. La bonne compagnie de Genève veut bien venir chez moi, mais je ne vais jamais dans cette ville hérétique. C’est ce que je vous prie de signifier à frère Berthier, supposé qu’il vive encore, ou à frère Garasse, ou même à l’auteur des Nouvelles ecclésiastiques[1]. Il me semble qu’il faudrait faire une battue contre toutes ces bêtes puantes ; mais les philosophes ne sont presque jamais réunis, et les fanatiques, après s’être déchirés à belles dents, se réunissent

  1. Appelées vulgairement Gazette ecclésiastique ; voyez tome XXI, page 419.