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nies que chez Philémon et Baucis ; mais, si jamais vous daignez repasser par chez nous, vous n’essuierez que des tragédies nouvelles. Nous aurons un théâtre plus honnête, et nos acteurs seront plus formés. Il faudrait alors jouer un tour à M.  et à Mme  d’Argental, les faire mander à Parme, et leur donner rendez-vous aux Délices.

Il parait que vous avez écrit à M.  le duc de Choiseul avec quelque indulgence sur notre compte ; que vous avez fait valoir notre lac, nos truites et notre vie tranquille, car il prétend qu’il est très-fâché de n’avoir pas pris sa route par notre ermitage, en revenant d’Italie. Grâces vous soient rendues de tous vos propos obligeants.

M.  d’Argental crie toujours après la Chevalerie, et moi, qui suis devenu temporiseur, avec toute ma vivacité, je réponds qu’il faut attendre, que tout ouvrage gagne à rester sur le métier, que le temps présent n’est pas trop celui des plaisirs, et que ceux qui vont aux spectacles avec l’argent qu’ils ont tiré du quart de leur vaisselle d’argent vendue ne sont pas de bonne humeur ; en un mot, ce n’est pas le temps de la chevalerie.

Vous croyez bien que je n’ai pas encore reçu des nouvelles de Luc ; il a été malade, il a beaucoup d’affaires. S’il m’écrit, j’aurai l’honneur de vous en rendre compte plus que de cet abbé d’Espagnac, qui ne finit point, et que j’abandonne à son sens réprouvé de vieux conseiller-clerc. Au reste, en outrageant ainsi les conseillers-clercs, j’excepte toujours monsieur votre frères[1].

Je me mets aux pieds de Vos très-aimables Excellences. Baucis arrache la plume des mains de Philémon pour vous dire que Vos Excellences ont emporté nos cœurs en nous privant de leur présence, et qu’il ne nous reste que des regrets.


p. s. de madame denis.

Mais que peut dire Baucis après Philémon ? Elle se contente de sentir tout ce qu’il exprime ; elle se plaît dans l’idée de vous savoir adorés à Turin, où vous représentez si bien une nation faite autrefois pour servir de modèle aux autres. Malgré tous nos malheurs, on en prendra toujours une grande idée en vous voyant l’un et l’autre. Je vous en remercie pour ma patrie. Aménaïde et Mérope vous demandent vos bontés, et les méritent par le plus tendre et le plus respectueux attachement.

  1. L’abbé de Chauvelin ; voyez tome XXXVI, page 523, et ci-dessus, page 204.