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3983. — À M. JEAN SCHOUVALOW.
Aux Délices, 22 novembre.

Monsieur, j’ai reçu aujourd’hui le paquet dont vous m’avez honoré, par les mains de M. de Soltikof, qui me paraît de jour en jour plus digne de son nom et de vos bontés. Je peux assurer Votre Excellence que rien ne vous fera plus d’honneur que d’avoir développé ce mérite naissant. Vous avez la réputation de répandre des bienfaits ; mais vous ne pouviez jamais les placer ni sur une âme qui les méritât mieux, ni sur un cœur plus reconnaissant. Il se formera très-vite aux affaires, et vous aurez un jour en lui un homme capable de vous seconder dans toutes vos vues, de rendre votre patrie aussi supérieure par les arts qu’elle l’est par les armes. Je vois bien que le lieu où il est à présent est pour lui un petit théâtre. Votre Excellence le fera voyager en France, en Italie : je regretterai sa perte ; mais tout ce qui sera de son avantage fera ma consolation.

Je me flatte, monsieur, que vous avez reçu à présent tout ce que vous avez permis que je vous envoyasse ; le premier volume de Pierre le Grand, un autre paquet assez gros de livres et de manuscrits, et une caisse d’eau de Colladon, que je ne vous ai présentée que comme un des meilleurs remèdes pour les maux d’estomac, aussi agréable à boire que l’eau des Barbades, et qui peut servir à vos amis dans l’occasion, car, pour vous, je sais que vous joignez à vos vertus celle d’être sobre. Votre Excellence m’honore de présents plus dignes d’elle et de sa cour. Je brave, avec vos belles fourrures, les neiges des Alpes, qui valent bien les vôtres. Un présent bien plus cher est celui des manuscrits que je reçois : ils me serviront beaucoup pour le second tome auquel je vais me mettre. Je n’ai point de temps à perdre. Mon âge et ma faible santé m’avertissent qu’il ne faut pas négliger un instant. Pierre le Grand mourut avant d’avoir achevé ses grandes entreprises ; son historien veut achever sa petite tâche.

Le catalogue de tous les livres écrits sur Pierre le Grand me servira peu, puisque, de tous les auteurs que ce catalogue indique, aucun ne fut conduit par vous. La triste fin du czarovitz m’embarrasse un peu : je n’aime pas à parler contre ma conscience. L’arrêt de mort m’a toujours paru trop dur. Il y a beaucoup de royaumes où il n’eût pas été permis d’en user ainsi. Je ne vois dans le procès aucune conspiration ; je n’y aperçois que des espérances vagues, quelques paroles échappées au dépit, nul