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Si on veut la paix, qu’on ne me propose rien qui répugne à la délicatesse de mes sentiments. Je suis dans les convulsions des opérations militaires ; je suis comme les joueurs qui sont dans le malheur et qui s’opiniâtrent contre la fortune. Je l’ai forcée de revenir à moi plus d’une fois, comme une maîtresse volage. J’ai affaire à de si sottes gens qu’il faut nécessairement qu’à la fin j’aie l’avantage sur eux. Mais qu’il arrive tout ce qu’il plaira à Sa sacrée Majesté le Hasard[1], je ne m’en embarrasse pas. J’ai jusqu’ici la conscience nette des malheurs qui me sont arrivés. La bataille de Minden, celle de Cadix, et la perte du Canada, sont des arguments capables de rendre la raison aux Français, auxquels l’ellébore autrichien l’avait brouillée. Je ne demande pas mieux que la paix, mais je la veux non flétrissante. Après avoir combattu avec succès contre toute l’Europe, il serait bien honteux de perdre par un trait de plume ce que j’ai maintenu par l’épée.

Voilà ma façon de penser ; vous ne me trouverez pas à l’eau de rose ; mais Henri IV, mais Louis XIV, mes ennemis même, que je peux citer, ne l’ont pas été plus que moi. Si j’étais né particulier, je céderais tout pour l’amour de la paix ; mais il faut prendre l’esprit de son état. Voilà tout ce que je peux vous dire jusqu’à présent. Dans trois ou quatre semaines la correspondance sera plus libre, etc.


Fédéric.

3930. — À M.  VERNES.
23 septembre.

All that is, is right.

Voilà deux rois assassinés[2] en deux ans, la moitié de l’Allemagne dévastée, quatre cent mille hommes massacrés, etc., etc.

Quelques curieux disent que les révérends pères de la compagnie de Jésus-Christ ont empoisonné le roi d’Espagne, et prétendent en avoir des preuves ; ipsi viderint. Tout le monde crie dans les rues à Paris : Mangeons du jésuite, mangeons du jésuite[3] ! C’est dommage que ces paroles soient tirées d’un livre détestable qui semble supposer le péché originel et la chute de l’homme, que vous niez, vous autres damnés de sociniens, qui niez aussi la chute d’Adam, la divinité du Verbe, la procession du Saint-Esprit, et l’enfer.

Nous sommes un peu brouillés pour les odes : cependant ma rapsodie sera à vos ordres ; mais il faudra venir dîner quelque

  1. Voyez plus haut la lettre 3820.
  2. Louis XV, le 15 janvier 1757 ; Joseph Ier (roi de Portugal), le 3 septembre 1758. — Quant au roi d’Espagne, Ferdinand VI, il venait de mourir le 10 août 1759.
  3. Voyez le chap. xvi de Candide.