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ses amis, à voir sans cesse sa réputation exposée aux caprices du hasard, à passer toute l’année dans les inquiétudes et les appréhensions, à risquer sans fin sa vie et sa fortune ?

Je connais certainement le prix de la tranquillité, les douceurs de la société, les agréments de la vie, et j’aime à être heureux autant que qui que ce soit. Quoique je désire tous ces biens, je ne veux cependant pas les acheter par des bassesses et des infamies. La philosophie nous apprend à faire notre devoir, à servir fidèlement notre patrie au prix de notre sang, de notre repos, à lui sacrifier tout notre être. L’illustre Zadig essuya bien des aventures qui n’étaient pas de son goût, Candide de même ; ils prirent cependant leur mal en patience. Quel plus bel exemple à suivre que celui de ces héros ?

Croyez-moi, nos habits écourtés valent vos talons rouges, les pelisses hongroises, et les justaucorps verts des Roxelans. On est actuellement aux trousses de ces derniers, qui, par leur balourdise, nous donnent beau jeu. Vous verrez que je me tirerai encore d’embarras cette année, et que je me délivrerai des verts et des blancs.

Il faut que le Saint-Esprit ait inspiré à rebours cette créature bénite par Sa Sainteté[1] ; il paraît avoir bien du plomb dans le derrière. Je sortirai d’autant plus sûrement de tout ceci que j’ai dans mon camp une vraie héroïne, une pucelle plus brave que Jeanne d’Arc. Cette divine fille est née en pleine Westphalie, aux environs de Hildesheim. J’ai de plus un fanatique venu de je ne sais où, qui jure son dieu et son grand diable que nous taillerons tout en pièces.

Voici donc comme je raisonne. Le bon roi Charles chassa les Anglais des Gaules à l’aide d’une pucelle, il est donc clair que, par les secours de la mienne, nous vaincrons les trois putains : car vous savez que, dans le paradis, les saints conservent toujours un peu de tendresse pour les pucelles. J’ajoute à ceci que Mahomet avait son pigeon ; Sertorius, sa biche ; votre enthousiaste des Cévennes, sa grosse Nicole[2] ; et je conclus que ma pucelle et mon inspiré me vaudront au moins tout autant.

Ne mettez point sur le compte de la guerre des malheurs et des calamités qui n’y ont aucun rapport.

L’abominable entreprise de Damiens, le cruel assassinat intenté[3] contre le roi de Portugal, sont de ces attentats qui se commettent en paix comme en guerre ; ce sont les suites de la fureur et de l’aveuglement d’un zèle absurde. L’homme restera, malgré les écoles de philosophie, la plus méchante bête de l’univers ; la superstition, l’intérêt, la vengeance, la trahison, l’ingratitude, produiront, jusqu’à la fin des siècles, des scènes sanglantes et tragiques, parce que les passions, et très-rarement la raison, nous gou-

  1. Le pape Rezzonico (Clément XIII) avait envoyé une épée bénite et un bonnet doublé d’agnus au maréchal Daun, qui s’était ridiculement prêté à cette facétie digne du xiiie siècle. (K.)
  2. On l’appelait la grande Marie ; voyez tome XV, page 36.
  3. On lit ainsi dans toutes les éditions.