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point pour eux cet amour enthousiaste qu’ont les célèbres auteurs pour le moindre mot qui leur échappe ; je ne me battrai avec personne, ni pour ma prose ni pour mes vers, et l’on jugera ce que l’on voudra, sans que cela me cause d’insomnies. Je vous prie donc de ne point vous échauffer pour un sujet si mince, qui ne mérite pas que vous vous déchaîniez contre mes ennemis littéraires. Vous criez tant pour la paix qu’il vous conviendrait mieux d’écrire, avec cette noble impertinence qui vous va si bien, contre ceux qui en retardent la conclusion, contre tous ces gens qui sont dans les convulsions et dans le délire ! Ce serait un trait singulier dans l’histoire, si on écrivait au dix-neuvième siècle que ce fameux Voltaire, qui, de son temps, avait tant écrit contre les libraires, contre les fanatiques, et contre le mauvais goût, avait fait, par ses ouvrages, tant de honte aux princes, de la guerre qu’ils se faisaient, qu’il les avait obligés à faire la paix dont il avait dicté les conditions. Entreprenez cette tâche-là, vous vous érigerez un monument que les temps n’effaceront pas. Virgile accompagna Mécène au voyage de Brindes où Auguste fit sa paix avec Antoine ; et Voltaire, sans voyager (dira-t-on), fut le précepteur des rois comme de l’Europe. Je souhaite que l’on puisse ajouter ce trait à votre vie, et que je puisse vous en féliciter bientôt. Adieu.


Fédéric.

3877. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 23 juin.

Mon divin ange parmesan, si je n’obéis pas bien, j’obéis vite. Il y a quelques coups de lime à donner, nous l’avouons ; mais prenez toujours, et, avec le temps, toutes les lois de madame d’Argental seront exécutées. On sait bien qu’en parlant du courrier qui va porter le billet doux, la confidente peut dire :


Il vous fut attaché dès vos plus jeunes ans,
Vos intérêts lui sont aussi chers que la vie[1],


et en faire ainsi un excellent domestique, qui fait pendre sa maîtresse en ne disant pas son secret. Il y a encore quelque chose à fortifier au cinquième acte ; mais il s’agit à présent d’une importante négociation. Votre Suisse vous donnera bientôt autant d’affaires que votre Parme.

Madame la marquise[2] a su que je faisais un drame, et moi, je lui ai écrit galamment que je le lui enverrais, que je le soumettrais à ses lumières, que je me souvenais toujours des belles décorations qu’elle eut la bonté de faire donner à Sémiramis, etc.

  1. Voyez tome V, pages 515 et 564.
  2. La marquise de Pompadour, à qui Voltaire dédia Tancrède.