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Je ne sais pourquoi vous me mandez que tant de poëtes le persécutent avec des éloges en vers. Mes chers confrères n’entrent pour rien dans les obligations que l’État peut lui avoir ; ils ne prendront point d’actions sur les fermes. En avez-vous pris ? Il me semble que mes nièces en ont quelques-unes. L’opération est un peu à l’anglaise ; eh ! tant mieux ! il faut faire du public une compagnie qui prête au public : c’est la grande méthode de Londres.


3857. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
28 mai.

Je vous envoie, mon cher ange, mon dernier printemps[1], mon ouvrage du mois de mai. Il est adressé à M. de Courteilles[2]. Ce n’est point à moi d’en juger, c’est à vous ; mais comment prévoir le succès ou la chute d’une pièce qui n’est ni tragédie, ni comédie, ni en rimes ordinaires, et qui n’a aucun objet de comparaison ? Ne sera-t-il pas amusant de la faire donner par Lekain, ou par M. de Lauraguais, comme l’ouvrage d’un jeune inconnu ? J’ai changé la mesure, afin que ce maudit public ne me reconnût pas à ce qu’on appelle mon style. N’allez pas vous attendre à de belles tirades, à de ces grands vers ronflants, à des sentences, à des attrape-parterre, à de l’esprit, à rien enfin de ce qui est en possession de plaire. Style médiocre, marche simple : voilà ce que vous trouverez ; mais, s’il y a de l’intérêt, tout est sauvé. Divin ange, je n’ai pas un moment ; j’ai quitté la Russie pour vous, je retourne à Pétersbourg, et je baise, en partant, les ailes des anges.


3858. — À M. JEAN SCHOUVALOW.
29 mai.

Je suis toujours surpris, monsieur, de voir que, sur les bords de la Neva et de la Mosca[3], on écrive et on parle français comme à Versailles. La lettre que M. Soltikof[4] vient de me rendre de la part de Votre Excellence, et sa conversation, redoublent ma surprise et mon plaisir. Je dois ajouter à ces sentiments ceux de la reconnaissance pour vos belles fourrures, et pour le thé que boit

  1. Tancrède ; voyez la lettre 3850.
  2. Intendant des finances.
  3. Voyez, relativement à l’orthographe de ce nom, et de plusieurs autres, lettre du 11 juin 1761, à Schouvalow.
  4. Voyez plus bas la lettre 3864.