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au lieu que chez vous, les moindres démêlés s’enveniment, de petites querelles produisent des guerres sanglantes. Votre vanité, plus cruelle que la barbarie des tyrans, sacrifie des milliers de citoyens à la fausse gloire, et pour un mot que l’ambition et la haine interprètent, des provinces entières sont saccagées et ruinées ; vos fureurs livrent la terre à la rapacité des bêtes féroces déchaînées pour l’envahir. Tous les fléaux, toutes les calamités, désolent le monde à leur suite, et tant de malheurs déplorables ne proviennent que de vos inimitiés funestes. Que Matthieu Reinhardt était sage, et que l’on devrait graver en lettres d’or sur les palais des rois ces belles et mémorables paroles : « C’est beaucoup gagner que de savoir céder à propos. »

Jamais foi ne fut plus fervente que la sienne. De tous nos saints livres, ceux qu’il lisait avec le plus d’application et de plaisir, c’étaient les prophètes de l’Ancien Testament et l’Apocalypse de saint Jean ; parce, disait-il, qu’il n’y comprenait rien du tout. Il souhaitait que toute la religion ne fût que mystère, pour mieux raisonner sur ce qu’il avait lu. Rien n’était incroyable pour lui. Avec quel zèle nous l’avons vu assister dans ces saints lieux à toutes les cérémonies religieuses, avec l’humilité d’un chrétien, avec l’attention d’un disciple, avec la componction d’un régénéré !

Sachez et retenez bien que l’on peut se distinguer dans toutes les conditions ; que ce ne fut pas parmi les riches que l’Homme-Dieu choisit ceux qu’il daigna associer à ses saints travaux, mais parmi la lie du peuple hébreu. Et vous, sa famille éplorée, séchez vos larmes, et ne souillez point, par vos regrets outrés, la gloire de celui qui est assis à présent à la droite du Père, entre le Fils et le Saint-Esprit.


3855. — À M.  LE PRÉSIDENT DE BROSSES[1].
23 mai, aux Délices.

Nouvelles importunités, monsieur. On me persuade que vous pouvez finir cette désagréable affaire du centième denier, qui en entraînerait d’autres. La terre de Tournay est dans un cas si singulier, et a de si étranges privilèges, qu’il ne faut sans doute en perdre aucun, MM.  de Faventine et Douet sont les deux fermiers généraux chargés du domaine. Les connaissez-vous, ces Douet et Faventine ? Non, vous connaissez Salluste et Horace. Mais il vous est aisé d’avoir accès auprès de ces puissances ; il ne s’agit que d’un délai, d’une surséance de leurs édits. Vous êtes dans Paris, président chez les Bourguignons, beau-frère d’un ex-contrôleur général, si je ne me trompe[2]. Il faut se remuer, se trémousser,

  1. Éditeur, Th. Foisset.
  2. Voltaire se trompait. M.  de Moras, contrôleur général de 1756 à 1757, puis ministre de la marine, n’était point beau-frère de M.  de Brosses, mais cousin germain de sa femme.