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Je vous crois plus que jamais sur les Anglais ; mais je ne peux comprendre comment ces dogues-là, qui, dites-vous, se battirent si bien à Ettingen[1], vinrent pourtant à bout de vous battre. Il est vrai que depuis ce temps-là vous le leur avez bien rendu. Il faut que chacun ait son tour dans ce monde.

Pour l’Académie françoise ou française, et les autres académies, je ne sais quand ce sera leur tour. Vous ferez toujours bien de l’honneur à celles dont vous serez. Quelle est la société qui ne cherchera pas à posséder celui qui fait le charme de la société ? Dieu donne longue vie au roi de Pologne ! Dieu vous le conserve, ce bon prince qui passe sa journée à faire du bien, et qui Dieu merci, n’a que cela à faire ! Je vous supplie de me mettre à ses pieds. Je veux faire mon petit bâtiment chinois à son honneur, dans un petit jardin ; je ferai un bois, un petit Chaudeu grand comme la main, et je le lui dédierai.

Mlle Clairon est à Lyon ; elle joue comme un ange des Idamé, des Mérope, des Zaïre, des Alzire. Cependant je ne vais point la voir. Si je faisais des voyages, ce serait pour vous, pour avoir la consolation de rendre mes respects à Mme de Boufflers, et à ceux qui daignent se souvenir de moi. Vous jugez bien que si je renonce à la Lorraine, je renonce aussi à Paris, où je pourrais aller comme à Genève, mais qui n’est pas fait pour un vieux malade planteur de choux.

Comptez toujours sur les regrets et le très-tendre attachement de V.


3219. — DE M. J.-J. ROUSSEAU[2].
Le 18 août 1756.

Vos deux derniers poëmes, monsieur, me sont parvenus dans ma solitude, et quoique tous mes amis connaissent l’amour que j’ai pour vos écrits, je ne sais de quelle part ceux-ci me pourraient venir, à moins que ce ne soit de la vôtre. J’y ai trouvé le plaisir avec l’instruction, et reconnu la main du maître : ainsi je crois vous devoir remercier à la fois de l’exemplaire et de l’ouvrage. Je ne vous dirai pas que tout m’en paraisse également bon, mais les choses qui m’y déplaisent ne font que m’inspirer plus de confiance pour celles qui me transportent : ce n’est pas sans peine que je défends quelquefois ma raison contre les charmes de votre poésie ; mais c’est pour rendre mon admiration plus digne de vos ouvrages que je m’efforce de n’y pas tout admirer.

  1. Dettingen, le 27 juin 1743. Voyez tome XV, page 214 et suiv.
  2. Cette lettre a été plusieurs fois imprimée séparément. J’en ai sous les yeux deux éditions, l’une in-8°, 1759 (peut-être 1756) ; l’autre in-12, 1764. (B.)