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marades. Puisque vous osez enfin observer le costume, rendre l’action théâtrale, et étaler sur la scène toute la pompe convenable, soyez sûr que votre spectacle acquerra une grande supériorité. Je suis trop vieux et trop malade pour espérer d’y contribuer ; mais si j’avais encore la force de travailler, ce serait dans un goût nouveau, digne des soins que vous prenez et de vos talents. Je suis borné, à présent, à m’intéresser à vos succès. On ne peut y prendre plus de part, ni être moins en état de les seconder. Je vous embrasse de tout mon cœur.


3124. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 4 août.

Mon cher ange, je suis bien malingre ; mais, puisqu’on a ressuscité Sémiramis, il faut bien que je ressuscite aussi. On dit que Lekain s’est avisé de paraître, au sortir du tombeau de sa mère, avec des bras qui avaient l’air d’être ensanglantés : cela est un tant soit peu anglais, et il ne faudrait pas prodiguer de pareils ornements. Voilà de ces occasions où l’on se trouve tout juste entre le sublime et le ridicule, entre le terrible et le dégoûtant. Mon absence n’a pas nui au succès ; de mon temps, les choses n’auraient pas été si bien. J’ai gagné quelque chose à être mort, car c’est l’être que de vivre sans digérer au pied des Alpes. Je sens que les Tronchin n’y font rien. Le miracle de Mme de Fontaine subsiste, mais je ne suis pas homme à miracles. Il faut être jeune pour faire honneur à son médecin ; mais, mon ange consolateur, aurai-je encore la force de faire quelque chose qui vous plaise ? J’ai bien peur que le talent des tragédies ne passe plus vite que le goût de les voir jouer. Vous n’êtes pas épuisé ; mais, par malheur, ne le serais-je pas ? Il se présente en Suède un sujet de tragédie[1] ; s’il y avait quelque épisode de Prusse, on pourrait trouver de quoi faire cinq actes. On aura dorénavant à Paris de l’indulgence pour moi, depuis qu’on me tient pour trépassé.

Je ne conseillerais pas à La Beaumelle de donner une pièce ; il en a pourtant fait une[2] ; mais il est si protégé et si heureux

  1. Le baron de Horn et quelques autres seigneurs venaient d’être décapités à Stockholm, le 13 juillet, pour avoir essayé de rétablir l’autorité arbitraire, tant à leur profit qu’à celui d’Adolphe-Frédéric, beau-frère du roi de Prusse.
  2. La Beaumelle, pendant son séjour à la Bastille, en 1753 (voyez tome XV, page 87), avait commencé une tragédie intitulée Virginie, ou les Décemvirs. À défaut