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S’il ne m’a pas encore donné la santé, il m’a donné un grand plaisir en m’apportant votre jolie Épîre, et voici ma triste réponse :


Vous ne comptez pas trente hivers,
Les grâces sont votre partage ;
Elles ont dicté vos beaux vers.
Mais je ne sais par quel travers
Vous vous proposez d’être sage.
C’est un mal qui prend à mon âge,
Quand le ressort des passions,
Quand de l’Amour la main divine,
Quand les belles tentations
Ne soutiennent plus la machine.
Trop tôt vous vous désespérez ;
Croyez-moi, la raison sévère
Qui trompe vos sens égarés
N’est qu’une attaque passagère.
Vous êtes jeune et fait pour plaire ;
Soyez sûr que vous guérirez.
Je vous en dirais davantage
Contre ce mal de la raison,
Que je hais d’un si bon courage ;
Mais je médite un gros ouvrage
Pour le vainqueur de Port-Mahon.
Je veux peindre à ma nation
Ce jour d’éternelle mémoire.
Je dirai, moi qui sais l’histoire.
Qu’un géant, nommé Géryon,
Fut pris autrefois par Alcide
Dans la même île, au même lieu
Où notre brillant Richelieu
À vaincu l’Anglais intrépide.
Je dirai qu’ainsi que Paphos
Minorque à Vénus fut soumise ;
Vous voyez bien que mon héros
Avait double droit à la prise.
Je suis prophète quelquefois ;
Malgré l’envie et la critique,
J’ai prédit ses heureux exploits ;
Et l’on prétend que je lui dois
Encore une ode pindarique.
Mais les odes ont peu d’appas
Pour les guerriers et pour moi-même,
Et je conçois qu’il ne faut pas
Ennuyer les héros qu’on aime.