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qui n’avoue que vous le surpassez beaucoup. Nous avons enfin au gîte ce célèbre Tronchin, qui vous était, je crois, très-inutile. Votre régime vaut encore mieux que lui. Ce sera à vous seule que vous devrez une longue vie. Jouissez-en dans le sein de l’amitié avec Mme de Brumath. Si je n’étais pas retenu dans mes Délices par ma famille, j’aurais pu avoir encore la consolation de vous voir à Strasbourg. L’électeur palatin avait bien voulu m’inviter à venir lui faire ma cour à Manheim. Je sens que j’aurais donné volontiers la préférence à l’île Jard. Vous savez d’ailleurs que j’ai renoncé aux cours.

Je ne sais pourquoi les parents du maréchal de Richelieu, qui sont avec lui devant Port-Mahon, ont fait courir le fragment d’une lettre[1] que je lui écrivis il y a plus de six semaines. Ils comptaient apparemment prendre le fort Saint-Philippe plus tôt qu’ils ne le prendront. M. le duc de Villars me mande[2] qu’il vient d’envoyer encore un renfort de six cents hommes et de deux cent cinquante artilleurs. On ne dit point qu’on ait pris un seul ouvrage avancé. Cependant il me paraît qu’on ne doute pas qu’on ne vienne enfin à bout de cette difficile entreprise. Elle deviendra glorieuse par les obstacles.

Vous ne vous attendiez pas, madame, qu’un jour la France et l’Autriche seraient amies. Il ne faut que vivre pour voir des choses nouvelles. Tout solitaire, tout mort au monde que je suis, j’ai l’impertinence d’être bien aise de ce traité. J’ai quelquefois des lettres de Vienne ; la reine de Hongrie est adorée. Il était juste que le Bien-Aimé et la Bien-Aimée fussent bons amis. Le roi de Prusse prétend à une autre gloire ; il a fait un opéra de ma tragédie de Mèrope ; mais il a toujours cent cinquante mille hommes et la Silésie.

Adieu, madame ; recevez mes respects pour vous, pour toute votre famille, et pour Mme de Brumath.


3194. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 2 juillet.

Avez-vous reçu enfin, mon cher ange, cette édition[3] qui est en chemin depuis plus d’un mois ?

  1. Les vers qui font, partie de la lettre 3167.
  2. Le fils du maréchal de Villars était en correspondance avec Voltaire depuis longtemps ; mais la seule lettre de ce philosophe au duc, recueillie jusqu’à présent, est du 25 mars 1762.
  3. Imprimée par les frères Cramer.