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malheureux soit accueilli à Paris, et que je sois au pied des Alpes. Dieu me préserve de répondre à ses personnalités ! Mais c’est un devoir de relever dans les notes du Siècle de Louis XIV les mensonges qui déshonoreraient ce beau siècle.

J’ai reçu une grande et éloquente lettre[1] de la Dumesnil ; elle n’était pas tout à fait ivre quand elle me l’a écrite. Je vois que Clairon lui donne de l’émulation ; mais, si elle veut conserver son talent, il faut qu’elle cesse de boire. Mlle Clairon a des inclinations plus convenables à son sexe et à son état.

Je vous avoue une de mes faiblesses. Je suis persuadé, et je le serai jusqu’à ce que l’événement me détrompe, qu’Oreste réussirait beaucoup à présent ; chaque chose a son temps, et je crois le temps venu. Je ne vous dirai pas que ce succès me serait agréable, je vous dirai qu’il me serait avantageux ; il ouvrirait des yeux qu’on a toujours voulu fermer sur le peu que je vaux.

Si vous pouviez, mon cher ange, faire jouer Oreste quelque temps après Sémiramis, vous me rendriez un plus grand service que vous ne pensez. Vous pourriez faire dire aux acteurs qu’ils n’auront jamais rien de moi avant d’avoir joué cette pièce.

Je vous remercie de vos anecdotes. Le discours de Louis XIV, qu’on prétend tenu au maréchal de Boufflers, passe pour avoir été débité aux maréchaux de Villars et d’Harcourt. La plaine de Saint-Denis est bien loin du Quesnoi. Il eût été bien triste de dire qu’on se ferait tuer aux portes de Paris, quand les anciennes frontières n’étaient pas encore entamées.

Quoique je sois plongé dans le siècle passé, je voudrais pourtant savoir si, dans le temps présent, l’abbé de Bernis est déclaré contre moi. Je ne le crois pas ; je l’ai toujours aimé et estimé, et j’applaudis à sa fortune[2]. Instruisez-moi. Je vous embrasse tendrement.


3193. — À MADAME LA COMTESSE DE LUTZELBOURG.
Aux Délices, 2 juillet.

Vos lettres, madame, sont bien aimables ; mais ce n’est pas sans peine qu’on jouit du plaisir de les lire. Il n’y a point de chat

  1. La réponse à cette lettre nous est inconnue. (Cl.)
  2. Bernis, qui n’avait pas huit cents livres de revenu en 1744, et qui, dans le monde littéraire, avait commencé par faire de petits vers contre Voltaire, jouissait, en 1756, du plus grand crédit auprès de la Pompadour. Il venait de signer le funeste traité du 1er mai avec le comte de Staremberg, ambassadeur d’Autricbe.