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mystères, il n’y a pas grand mal. Vous me justifierez bientôt[1] ; vous confondrez les incrédules comme les envieux ; on verra bien que vous êtes un héros, et que je ne suis pas un prophète de Baal.

Au milieu des coups de canon, vous soucieriez-vous de savoir que La Beaumelle, qui s’est fait, je ne sais comment, héritier des papiers de Mme de Maintenon, a fait imprimer quinze volumes, soit de Lettres, soit de Mémoires ? Ce ramas d’inutilités est relevé par un tas d’impudences et de mensonges qui est fait tout juste pour l’avide curiosité du public. Il y a quatre-vingts ou cent familles outragées : voilà ce qu’il faut au gros des hommes. Il y a parmi les Lettres de Mme de Maintenon une lettre de M. le duc de Richelieu votre père, qui certainement n’était pas faite pour être publique. Les termes qui vous regardent sont bien peu mesurés, et il est désagréable que monsieur votre fils soit à portée de les voir. Il me paraît bien indécent de révéler ainsi des secrets de famille du vivant des intéressés.

Mais, après tout, qu’importe qu’on attaque la conduite de M. le duc de Fronsac[2] en 1715, pourvu qu’on rende justice à M. le maréchal de Richelieu en 1756 ?

Prenez votre Mahon, triomphez des Anglais et des mauvais discours. Je lève les mains[3] au ciel sur mes montagnes, et je chanterai le Te Deum en terre hérétique,

Mme Denis et moi nous sommes les deux Suisses qui aiment le plus votre gloire et votre personne.


3185. — À M. DE BRENLES.
Aux Délices, 15 juin.

On dit le colonel Constant mort[4]. Si cela est, j’en suis très-affligé, et je suis étonné de vivre. Voilà donc, mon cher ami, ce que c’est que ce fantôme de la vie. On s’en plaint, on la maudit, on la prodigue, on l’aime, et elle s’évanouit comme une ombre.

  1. Cette justification eut lieu le 28 du même mois, jour de la prise du fort Saint-Philippe.
  2. Titre porté par le héros de Voltaire jusqu’en mai 1715.
  3. Comme Moïse. Exode, xvii, 11.
  4. Il est probablement question ici de Philippe-Germain Constant, colonel dans le régiment de Chambrier, au service de Hollande, et second des quatre fils du lieutenant général Constant de Rebecque. Le colonel Constant n’était âgé que de vingt-huit ans quand il mourut : c’était un jeune homme de beaucoup d’esprit. — Le lieutenant général Constant, que Voltaire, dans sa lettre du 21 janvier 1765,