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nête cabaretier, en dépit des vers d’Horace : Cauponibus atque malignis, perfidus hic caupo.

Je suis très-inquiet de la santé de monsieur le banneret. La mienne est pire que jamais. Je vous embrasse tendrement. V.

Point de nouvelles encore des fous français et des fous anglais. Point de bataille navale, et le fort Mahon est prêt[1] de se rendre.


3176. — À M. THIERIOT.
À Monrion, le 27 mai.

Je crois, mon ancien ami, que le braiment[2] de l’âne de Montmartre est aux Délices. Je verrai ce que c’est, à mon retour dans cet ermitage. Ma nièce de Fontaine y arrive incessamment. J’aurais bien voulu qu’elle vous eût amené, et que vous aimassiez la campagne comme moi. Il y en a de plus belles que la mienne, mais il n’y en a guère d’aussi agréables. Je suis redevenu sybarite, et je me suis fait un séjour délicieux ; mais je vivrais aussi aisément comme Diogène que comme Aristippe. Je préfère un ami à des rois ; mais, en préférant une très-jolie maison à une chaumière, je serais très-bien dans la chaumière. Ce n’est que pour les autres que je vis avec opulence ; ainsi je défie la fortune, et je jouis d’un état très-doux et très-libre que je ne dois qu’à moi.

Quand j’ai parlé en vers des malheurs des humains mes confrères, c’est par pure générosité : car, à la faiblesse de ma santé près, je suis si heureux que j’en ai honte. Je vous aimerais bien mieux encore compagnon de ma retraite qu’éditeur de mes rêveries.

Les faquins qui poursuivent la mémoire de Bayle méritent le mépris et le silence. Je vous remercie de supprimer la petite remarque qui leur donne sur les oreilles. Tout le reste aura son passe-port chez les honnêtes gens. Il est vrai que cette seconde édition paraît bien tard, et qu’on a donné trop de temps aux sots pour répandre leurs préjugés sur la première. Celle-ci est aussi forte ; mais elle est mesurée et accompagnée de correctifs qui ferment la bouche à la superstition, tandis qu’ils laissent triompher la philosophie.

  1. Voltaire a écrit prest : voyez une note, tome XIV, page 418.
  2. Les Pensées philosophiques d’un citoyen de Montmartre (1756, in-12) que le jésuite Sennemaud venait de publier contre les philosophes.