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ANNÉE 1758.

dans le peuple que j’étais venu chercher un asile dans le territoire de Genève, et ils ont feint d’ignorer que j’avais fait à Genève l’honneur de la croire libre et digne d’être habitée par des philosophes. J’ai opposé la patience et le silence à toutes leurs manœuvres ; j’ai pris une belle maison à Lausanne, pour y passer des hivers ; et enfin je me vois forcé d’être le seigneur de deux ou trois présidents, et d’avoir pour mes vassaux ceux qui osaient essayer de m’inquiéter. J’ai tellement arrangé l’achat de Tournay que je jouis pleinement et sans partage de tous les droits seigneuriaux et de tous les privilèges de l’ancien dénombrement.

La terre de Ferney est moins titrée, mais non moins seigneuriale : je n’y jouis des droits de l’ancien dénombrement que par grâce du ministère ; mais cette grâce m’est assurée. J’aime à planter, j’aime à bâtir ; et je satisfais les seuls goûts qui consolent la vieillesse. Les deux terres, l’une compensant l’autre, me produisent le denier vingt ; et le plaisir qu’elles me donnent est le plus beau de tous les deniers. Vous voyez dans quels détails j’entre avec vous ; j’y suis autorisé par votre amitié. Enfin, je me suis rendu plus libre, en achetant des terres en France, que je ne l’étais n’ayant que ma guinguette de Genève et ma maison de Lausanne. Vos magistrats sont respectables ; ils sont sages ; la bonne compagnie de Genève vaut celle de Paris ; mais votre peuple est un peu arrogant, et vos prêtres un peu dangereux.


3717. — À M. COLINI.
Aux Délices, 14 décembre.

Mon cher Colini, j’ai encore écrit à monseigneur l’électeur palatin. Point de place vacante ; il faut attendre. J’ai envoyé un ballot qui doit parvenir bientôt à M. Turckeim. Vous pouvez lui dire que ce ballot est pour vous ; je le prie d’en payer les frais. C’est Cramer qui l’a dépêché par les voitures embourbées de Suisse. Il contient trois exemplaires, un pour M. Langhans[1], et deux pour vous. Si les Français, les Autrichiens, les Russes et les Suédois, ne piquent pas mieux leurs chiens, ils ne forceront point la proie qu’ils chassent ; Freytag aura raison, et la peine de M. Langhans sera perdue. Addio, mio Colini.

J’ai acquis deux belles terres en France, dans le pays de Gex, qui est un jardin continuel. Si jamais vous êtes las du Rhin, j’habite toujours près du lac. V.

  1. Ammeister ou premier magistrat de la ville de Strasbourg.