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ANNÉE 1758.

car je bâtis une terre ; non pas un marquisat comme Lamotte[1], non un palais comme le palais d’Ango, mais une maison commode et rustique, où j’entre, il est vrai, par deux tours entre lesquelles il ne tient qu’à moi d’avoir un pont-levis, car j’ai des mâchicoulis et des meurtrières ; et mes vassaux feront la guerre à Lamotte-Ango.

Le fait est que j’ai acheté, à une lieue[2] des Délices, une terre qui donne beaucoup de foin, de blé, de paille, et d’avoine ; et je suis à présent


Rusticus, abnormis sapiens, crassaque Minerva.

(Hor., lib. II, sat. II, v. 3.)


J’ai des chênes droits comme des pins, qui touchent le ciel, et qui rendraient grand service à notre marine si nous en avions une. Ma seigneurie a d’aussi beaux droits que Lamotte ; et nous verrons, quand nous nous battrons, qui l’emportera.


Nunc itaque et versus, et cætera ludicra pono.

(Hor., lib. I, ep. i, v. 10.)


Je sème avec le semoir ; je fais des expériences de physique sur notre mère commune ; mais j’ai bien de la peine à réduire Mme Denis au rôle de Cérès, de Pomone, et de Flore. Elle aimerait mieux, je crois, être Thalie à Paris ; et moi, non ; je suis idolâtre de la campagne, même en hiver. Allez à Paris ; allez, vous qui ne pouvez encore vous défaire de vos passions.


Urbis amatorem Fuscum salvere jubemus
Ruris amatores.

(Hor., lib. I, ep. x, v, 1.)

l’ami des hommes[3], ce M. de Mirabeau, qui parle, qui parle, qui parle, qui décide, qui tranche, qui aime tant le gouvernement féodal, qui fait tant d’écarts, qui se blouse si souvent, ce prétendu ami du genre humain n’est mon fait que quand il dit : Aimez l’agriculture. Je rends grâces à Dieu, et non à ce Mirabeau, qui m’a donné cette dernière passion. Eh bien ! quittez

  1. Ce château, dont une partie a été démolie, est situé dans la commune de Joué-du-Plain, à trois lieues d’Argentan.
  2. Lisez deux lieues.
  3. Victor Riquetti, marquis de Mirabeau, né en 1715, mort en 1789, est auteur de l’Ami des hommes ; voyez tome XX, page 249.