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ANNÉE 1758.

qu’il me semble que nous sommes à peu près d’accord là-dessus. Reste cette chaîne ou pot de vin, pour laquelle vous offrez à Mme de Brosses une belle charrue à semoir. Mais, outre que j’en ai une ici, je doute qu’elle prenne cela pour un meuble de toilette. Je ne me mêle pas des affaires des femmes. Voyez si vous voulez démêler cette fusée avec elle. Vous êtes galant, vous ferez bien les choses. Et n’allez pas dire : « Je ne suis point galant ; ce sont mes ennemis qui font courir ce bruit-là » ; car elle n’en voudra pas croire un mot. Si vous avez quelque proposition honnête à faire pour elle, je m’en chargerai volontiers, et je tâcherai de vous en tirer à meilleur compte. Que si elle est une fois à vos trousses, il faudra les Pères de la Mercy pour vous racheter. Encore elle s’en va à Paris cet hiver, où elle compte manger beaucoup d’argent. Ceci la va rendre âpre comme tous les diables ; ma foi, je vous plains.

Dites-moi quand et comment vous voulez que nous fassions les actes ; en quel temps à peu près vous voudriez entrer en jouissance ; si vous comptez laisser le fermier actuel dans le bail, ou si vous entendez qu’il sera résilié. En ce dernier cas, ceci demande des précautions, et des arrangements à prendre de ma part avec le sieur Chouet. Vous sentez assez que cela ne se peut pas faire dans la première minute ; mais cela n’empêcherait pas que vous ne puissiez prendre vos mesures d’avance sur ce que vous pouvez avoir dessein de faire.

Il y a un article qui me peine, quoique ce ne soit pas grand’chose : c’est celui des meubles. Quand on rentrera là un jour à venir, il n’y aura que les quatre murailles, et on y sera comme le Fils de l’homme, qui n’a pas où reposer sa tête. Convenons qu’ils vous resteront pour l’usage tels qu’ils y sont, et qu’ils y seront laissés après vous tels qu’ils seront.

Je vous demande en grâce de garder le plus grand secret sur notre traité, non-seulement à cause des arrangements qu’il me faudra faire peut-être avec M. Chouet, mais encore plus à cause des précautions à prendre pour notre utilité réciproque, tant sur l’article des franchises que sur les demandes que l’on pourrait vous faire sur le pied d’une aliénation : si bien qu’il faut que ceci n’ait que l’air extérieur d’un bail à vie. Faites-moi le plaisir de me faire là-dessus la plus prompte réponse qu’il vous sera possible, afin que je puisse prendre sans tarder les mesures nécessaires.

Indépendamment de notre affaire, c’est toujours un moment bien agréable pour moi que celui où j’ai l’avantage de recevoir de vos lettres. Je désire avec empressement de vous des sentiments d’amitié ; et je puis dire que je les mérite par ceux de la plus grande estime et du plus parfait dévouement que j’ai l’honneur de vous porter.


Brosses[1].
  1. Dans un catalogue d’autographes, vendus le 17 avril 1880, nous relevons, sous le n° 52, la mention suivante : « Lettre de Ch.-L.-Aug. Fouquet, duc de Belle-Isle, maréchal de France, à Voltaire, de Versailles, 12 novembre 1758. Il se chargera de remettre au ministre de la marine le mémoire qu’il lui a recommandé. »