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ANNÉE 1758.

ne serait pas dans Dresde. Je ne vois jusqu’ici que du carnage, et les choses sont à peu près au même point où elles étaient au commencement de la guerre. Six armées ravagent l’Allemagne : c’est là tout le fruit qu’on en a tiré. La guerre de Trente ans fut infiniment moins meurtrière. Dieu veuille que celle-ci n’égale pas l’autre en durée, comme elle la surpasse en destructions ! La grande maîtresse des cœurs n’est-elle pas bien désolée ? Ne gémit-elle pas sur ce pauvre genre humain ? Il me semble que je serais un peu consolé si j’avais l’honneur de jouir comme elle, madame, de votre conversation. Ne vous attendez-vous pas tous les jours à quelque événement sanglant vers Dresde et vers la Lippe ? Le roi de Prusse me mande, au milieu de ses combats et de ses marches, que je suis trop heureux dans ma retraite paisible ; il a bien raison : je le plains au milieu de sa gloire, et je vous plains, madame, d’être si près des champs d’honneur.

Je présente mes profonds respects à monseigneur le duc ; je fais toujours mille vœux pour la prospérité de toute votre maison. Vous savez, madame, avec quel tendre respect ce vieux Suisse est attaché à Votre Altesse sérénissime.


3667. — À MADAME LA MARGRAVE DE BAIREUTH[1].
Aux Délices, 27 septembre.

Madame, si ce billet trouvait Votre Altesse royale dans un moment de santé et de loisir, je la supplierais de faire envoyer au grand homme son frère cette réponse du Suisse ; mais mon soin le plus pressé est de la supplier d’envoyer à Tronchin un détail de sa maladie.

Vous n’avez jamais eu, madame, tant de raisons d’aimer la vie, vous ne savez pas comment cette vie est chère à tous ceux qui ont eu le bonheur d’approcher de Votre Altesse royale ; comptez que, s’il est quelqu’un sur la terre capable de vous donner du soulagement et de prolonger des jours si précieux, c’est Tronchin. Au nom de tous les êtres pensants, madame, ne négligez pas de le consulter, et s’il était nécessaire qu’il se rendît auprès de votre personne, ou si, ne pouvant pas y venir, il jugeait que vous pouvez entreprendre le voyage, il n’y aurait pas un moment à perdre. Il faut vivre : tout le reste n’est rien. Je suis pénétré de douleur et d’inquiétude ; ces sentiments l’emportent

  1. Revue française, mars 1866 ; tome XIII, page 371.