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ANNÉE 1758.

sans en demander la permission. C’est violer un des premiers droits de la société ; et quand la fausseté est jointe à cette hardiesse, c’est un crime. Je crois que le journaliste n’a pas eu mauvaise intention, mais il ne m’a pas moins nuit. Il m’a écrit, il a fait une espèce de désaveu[1] que je dois à vos soins et à votre probité, et dont je vous remercie. Je n’ai point voulu irriter cet homme par des plaintes, qui sont inutiles quand la chose est faite, et qui ne peuvent qu’aigrir. Il ne s’attendait pas que le roi de Prusse remporterait sur les Russes une victoire si complète et si mémorable[2]. Il faut à présent se taire sur les succès inouïs de ce monarque, et sur les malheurs de la France. Vous me feriez plaisir de me mander s’il est vrai qu’il y ait plusieurs édits pécuniaires, et si on continue de payer les rentes de l’Hôtel de Ville et de la compagnie des Indes. Vous avez du moins une planche dans le naufrage général. Vous êtes bien placé à l’École militaire, école dont on a grand besoin. Je vous souhaite tout le bonheur que vous méritez, et suis à vous pour jamais bien tendrement.


Le Suisse V.

3659. — DE M. HENNIN[3].
Turin, 17 septembre 1758.

Monsieur, quitter les Délices pour traverser les montagnes de Savoie, c’est passer des riches campagnes de l’Égypte dans les déserts de Chanaan ; aussi ai-je souvent tourné la tête vers cette heureuse colline où vous avez dressé votre tente. J’ai comparé la liberté dont vous y jouissez à l’esclavage volontaire que je me suis imposé, et je me suis trouvé aussi enfant que les autres hommes. Cette idée m’allait affliger ; j’ai repris mes joujoux pour m’en distraire. J’ai examiné avec attention tous les objets qui se sont offerts successivement à mes yeux, rochers, torrents, animaux, plantes, minéraux. J’ai suivi les diverses nuances qui joignent l’espèce humaine à celle des brutes, à mesure qu’on s’enfonce dans les contrées les moins fréquentées ; et malgré la lenteur de ma marche, l’ennui ne m’a point approché. Arrivé à Saint-Jean de Maurienne, je me suis informé de la fin de mon pauvre ami Patu. Ses hôtes m’ont dit qu’un instant après être descendu de

  1. Imprimé sous le titre d’Avis au public, dans le Journal encyclopédique du 15 août 1758, page 147.
  2. La bataille de Zorndorf, près de Custrin, où, suivant quelques-uns, la victoire fut indécise ; où, suivant d’autres, elle resta aux Russes, qui cependant, après onze heures et demie de combat, perdirent cent trois canons, au moins quinze mille morts, et deux mille prisonniers. (B.)
  3. Correspondance inédite de Voltaire avec P.-M. Hennin, 1825.