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CORRESPONDANCE.

ici-bas plus longtemps que Fontenelle. Elle n’est pas déjà si bien aujourd’hui avec le public.

Je vous garderai le secret le plus exact, et j’ai l’honneur de vous le demander de même à mon égard, surtout par une raison qui nous intéresse tous deux. J’ai tiré jadis cet avantage du malheur de mes pères, huguenots dès le temps de Calvin, que leur terre est de l’ancien dénombrement. Nous n’en sommes fâchés ni vous ni moi, pour qui les édits bursaux n’ont pas des attraits vainqueurs. On a bien voulu me continuer ce droit en dernier lieu dans le renouvellement du cadastre ; apparemment qu’on ne m’a pas cru assez bon catholique pour édifier notre ami Helvétius[1]. Quoi qu’il en soit, le droit, selon la teneur du privilège, est pour ma famille, ou en cas de vente à un Genevois, Suisse, etc. Autrement, il se perd et ne se recouvre pas par réachat. Or on pourrait bien ne pas vous trouver assez bon huguenot pour être privilégié. Au reste, il ne s’agit que de manier ceci un peu délicatement, ce qui ne sera point du tout difficile.

Je suis si fidèle au secret que je n’en ai sonné mot à Mme de Brosses, de peur qu’elle ne se mît de la conversation. Mais, comme Dieu permet que tout se découvre, elle s’avisera sans doute alors de demander la chaîne du marché. Je ne sais pas de combien. C’est une femme à prétentions. Elle ira peut-être croire qu’une chaîne si belle devrait être éternelle. Agissons politiquement. Commencez par me corrompre. En fait de terres, je suis vénal comme un Anglais. Quand nous serons tous deux contre elle, nous la réduirons. Je retiens encore le droit d’aller un jour passer quelques moments dans votre nouvel ermitage, à vous entendre parler de l’histoire présente et passée. Vous avez sur l’Oder un ami qui n’est pas le mien. Les Russes me vont donner huit jours d’insomnie, et Louisbourg m’en a déjà coûté autant. Je ne puis me mettre dans la tête la sage maxime italienne : Per il tempo e per la Signoria non pigliarli malinconia.


3658. — À M. DARGET.
Aux Délices, 16 septembre 1758.

Mon ancien ami, vous n’avez point répondu à la lettre que je vous écrivis de Manheim[2]. Vous sentez que, dans les circonstances présentes, il est bien triste que cette lettre par laquelle j’avais répondu avec confiance à vos ouvertures ait été imprimée dans les journaux et falsifiée. Vous me feriez un plaisir extrême de me renvoyer ma lettre, afin que je pusse la confronter avec celle qui a couru, et que j’eusse une pièce justificative toute prête. Je sens que vous avez été aussi indigné que moi de cet abus que les journalistes se permettent de publier les secrets des particuliers

  1. Dont le livre de l’Esprit venait de paraître, et commençait à faire bruit.
  2. C’est le n° 3633.