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ANNÉE 1758.

trois mille trois cents livres. Lui-même ne sera pas fâché de quitter, connaissant sa totale incapacité.

Vous me demandez terre, seigneurie, prés, vignes, droits, meubles, bois, bestiaux, curé, and all. Reprenons ceci article par article avec un commentaire. Je vais tâcher de le faire moins long que celui que j’ai écrit sur Salluste, que je n’ose plus ni relire, ni publier, de peur de m’enorgueillir du talent que j’ai eu de faire un gros in-4o d’un très-petit in-12.

Terre, seigneurie, prés, vignes, droits. — Convenu.

Meubles. — Convenu. Mais je vous avertis qu’il n’y en a guère.

Bois. — Vous l’entendez sans doute comme un usufruitier a les bois d’une terre : car vous savez qu’il n’a pas droit de les couper, et qu’ils n’entrent point dans les jouissances viagères. Les bois ne sont pas dans le bail du sieur Chouet, si ce n’est pour le pâturage, le chauffage, la glandée (articles annuels).


Bestiaux. — Sur les bestiaux, il y a une observation à faire à l’égard du troupeau de vaches. Il est du bail, par conséquent de la vente. Mais vous savez que, dans ce pays-là, c’est un fonds dans les terres. Il sera convenu qu’après vous on le rendra en même nombre et valeur qu’il aura été livré.

Curé. — Sous la figure d’un ours, ce curé est un très-bon homme, fort droit, chose rare. Je vous remets là un effet précieux. Quoique harangueur, il parle mal ; mais il pense bien. Sérieusement, si nous finissons, je vous le recommande.

Vous voulez construire un bâtiment de vingt-cinq mille francs ; je n’en doute pas, c’est votre intention, et je ne suis pas ici pour vous contrarier. Mais la volonté de l’homme est ambulatoire. Il faut prendre garde qu’il n’en soit pas de ceci comme de la dot calculée de Frosine[1]. Cet article n’est pas tant un payement qu’une proposition (raisonnable par rapport à vous) de faire là quelque chose autant que cela vous plaira et vous conviendra. Lorsque mon vieux vilain château, logeable pour moi pendant quinze jours tous les trois ans, pour un fermier et pour mes pressoirs pendant toute l’année, sera une fois détruit, je me trouverais fort embarrassé si, par le hasard des événements, les choses venaient à en rester là. Voyez de quoi vous voulez que nous convenions ex æquo et bono, soit pour un terme fixé à la construction, soit pour la somme que vous y mettrez.

Vous m’offrez vingt-cinq mille livres comptant. Mettez la main sur le pourpoint : ce n’est pas assez. Il y a 3,000, puis 3,300 livres de rente dans le bail actuel. Cela vaut trente mille livres. Je dirais bien trente-trois. Mais je n’ai jamais qu’un mot, et s’il m’arrivait d’en avoir plusieurs, ce ne serait jamais avec vous, dont je fais un cas infini, et avec qui je souhaite extrêmement de former ici une liaison d’amitié.

Vous vous obligez à ne vivre que quatre ou cinq ans ; point de cet article, s’il vous plaît, sinon marché nul. J’exige au contraire, après le traité conclu, que vous viviez le reste du siècle pour continuer à l’illustrer et à l’éclairer. La Providence se ferait de belles affaires si elle ne vous laissait

  1. Voyez l’Avare, acte II, scène vi.