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CORRESPONDANCE.

Moyennant ces offres honnêtes, je demande la pleine possession de votre terre, de tous vos droits, meubles, bois, bestiaux, et même du curé, et que vous me garantissiez tout jusqu’à ce que ce curé m’enterre. Si ce plaisant marché vous convient, monsieur, vous pouvez, d’un mot, le rendre sérieux : la vie est bien courte pour que les affaires soient longues.

J’ajoute encore un petit mot ; j’ai embelli mon trou intitulé les Délices. J’ai embelli une maison à Lausanne. Ces deux effets, grâce à ma façon, valent actuellement le double de ce qu’ils valaient. Il en sera autant de votre terre. Voyez ce que vous en pensez. Vous ne vous en déferez jamais dans l’état où elle est.

Quoi qu’il en soit, je vous demande le secret, et j’ai l’honneur d’être, d’ailleurs, avec la plus respectueuse estime, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


Voltaire.

3657. — DE M. LE PRÉSIDENT DE BROSSES[1].
À Dijon, le 14 septembre 1758.

Si j’avais été dans votre voisinage, monsieur, lorsque vous fîtes une acquisition si près de la ville, en admirant avec vous le physique des bords de notre lac, j’aurais eu l’honneur de vous dire à l’oreille que le moral du caractère des habitants demandait que vous vous plaçassiez sur France, par deux raisons capitales : l’une, qu’il faut être chez soi ; l’autre, qu’il ne faut pas être chez les autres. Vous ne sauriez croire combien cette république me fait aimer les monarchies : j’avais grand besoin d’une raison pareille. Je vous aurais dès lors volontiers offert mon château, s’il avait été digne d’être la demeure ordinaire d’un homme si célèbre ; mais il n’a pas même l’honneur d’être une antiquité, ce n’est qu’une vieillerie. Il vous vient en fantaisie de le rajeunir comme Memnon. J’approuve fort ce projet, dont vous ne savez peut-être pas que M. d’Argental avait eu ci-devant l’idée pour votre établissement. Entrons en matière.

Je vous remettrai, à titre de propriété à vie, tout ce dont le sieur Chouet jouit à titre de bail ; avec cette différence encore qu’il n’a pas la faculté d’y faire de bâtiments neufs, que je vous accorderai avec une générosité sans bornes, quelle qu’en puisse être la dépense. Ce que cette vente comprend est actuellement affermé par le bail, 3,000 livres, et pour les années suivantes 3,200 et 3,300 livres. Car j’ai remis ceci au sieur Chouet à prix très-médiocre en commençant. Vous verrez les actes. En tout état de cause, je serai de mon côté bien aise de me défaire de cet homme de très-mauvaise conduite, que je n’aurais jamais placé là si je n’eusse ignoré pour lors ses aventures précédentes : il ne s’y enrichirait pas plus à trois mille trois cents sols qu’à

  1. Éditeur, Th. Foisset.