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CORRESPONDANCE.

a consommé entièrement l’affaire en question. S’il y avait quelque difficulté (ce que je ne crois pas), j’irais le trouver dans son beau château, au premier ordre de Votre Altesse sérénissime, et je lui laverais la tête d’importance. Si je m’étais trouvé en Hollande plutôt qu’en Suisse, madame, j’aurais pu donner plus d’étendue à mon zèle et vous procurer une somme plus forte. Il me semble que le peu qu’on a trouvé à Genève n’est guère digne de vous être offert.

Il faut espérer qu’une paix, devenue nécessaire à tout le monde, fera cesser enfin le malheur public, dont il n’y a guère de particulier qui ne se ressente. Par quelle fatalité, madame, faut-il que toute votre prudence, toute la sagesse de votre administration ait été inutile, et que, n’ayant rien à gagner dans ces secousses de l’Europe, vous y ayez tant perdu ! La dernière victoire du roi de Prusse[1] sur les Russes nous apportera-t-elle une paix tant désirée ? Sa gloire sera-t-elle inutile au genre humain ?

Je ne sais pas un mot des affaires dans ma solitude. J’ai ignoré longtemps que ce jeune prince que j’avais eu l’honneur de voir élever dans votre palais, et dont monseigneur était le tuteur, s’était marié, avait eu un fils, et était mort. J’ignore si la tutelle de l’enfant qu’il a laissé appartient à votre branche ; tout ce que je sais, c’est que personne au monde ne s’intéresse plus que moi, madame, à tous les avantages de Votre Altesse sérénissime. J’ai vu des princes charmants qui doivent remplir toutes vos espérances ; la princesse, votre fille, promettait de ressembler en tout à son auguste mère. Permettez, madame, tant de curiosité. Ces dignes objets de consolation sont présents sans cesse à mon souvenir ; mon cœur est toujours plein de Gotha. Je ne suis qu’un vieux Suisse ; mais quand je serais un jeune Parisien, je regretterais votre cour et votre auguste famille, et la grande maîtresse des cœurs. Agréez, madame, mon profond respect.


3654. — À M. TRONCHIN, DE LYON[2].
Délices, 9 septembre.

Je doute fort que l’homme le plus adroit eût pu engager messieurs de Berne à vous prêter deux millions. Ils donnent des régiments pour de l’argent, et n’en prêtent point à la France. C’est un système qu’il serait difficile de changer. Il est certain

  1. À Zorndorf, près de Custrin, le 25 août.
  2. Éditeurs, de Cayrol et François.