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CORRESPONDANCE.

Si Marie-Thérèse et mes Russes ont quelques succès, ne me les laissez pas ignorer : il faut avoir de quoi se consoler de tout le mal qui nous arrive.

Quel est donc l’aimable Italien qui m’envoie des choses si agréables ? Quel qu’il soit, je le remercie de tout mon cœur, et je lui dois autant d’estime que de reconnaissance.


3652. — À MADAME DU BOCCAGE.
Aux Délices, 3 septembre.

En revoyant, madame, mon petit ermitage, mon premier devoir est de vous remercier, vous et M. du Boccage, de l’honneur que vous avez bien voulu faire aux ermites. Je pourrais en concevoir bien de la vanité, je pourrais vous redire ici tout ce que vous avez entendu de Paris jusqu’à Rome ; mais vous devez être lasse de compliments. Permettez-moi seulement de vous dire que, malgré tous vos talents et tout votre mérite, je vous ai trouvée la femme du monde la plus simple, la plus aisée à vivre, la plus digne d’avoir des amis, quoique vous soyez très-faite pour avoir mieux. Si l’intérêt que j’ai toujours pris, madame, à vos succès et à votre gloire, pouvait me donner quelques droits à votre amitié, j’oserais vous la demander instamment. Il y a grande apparence que je finirai dans la retraite une vieillesse infirme ; mais ce sera pour moi une grande consolation de pouvoir compter sur la bienveillance d’une personne qui fait tant d’honneur à son siècle et à son sexe. Quel triste siècle, madame ! et que la disette des talents en tous genres est effrayante ! Je ne vois que des livres sur la guerre, et nous sommes battus partout ; que des brochures sur la marine et sur le commerce, et notre commerce et notre marine s’anéantissent ; que de fades raisonneurs qui ont un peu d’esprit, et il n’y a pas un homme de génie. Notre siècle vit sur le crédit du siècle de Louis XIV. On parle, il est vrai, dans les pays étrangers, la langue que les Pascal, les Despréaux, les Bossuet, les Racine, les Molière, ont rendue universelle ; et c’est dans notre propre langue qu’on dit aujourd’hui dans l’Europe que les Français dégénèrent. S’il y a quelque homme de mérite en France, il est persécuté ; Diderot, d’Alembert, n’y trouvent que des ennemis. Helvétius a fait, dit-on, un excellent ouvrage[1], et on s’efforce de le rendre criminel. Il

  1. De l’Esprit, 1758, in-4o. Le privilège accordé le 12 mai pour l’impression de ce livre avait été révoqué le 10 août. Jean-Tercier (né en 1704, mort en