Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome39.djvu/495

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
485
ANNÉE 1758.

Mme du Boccage vous a donc montré notre Femme qui a raison. Elle nous a amusés en Savoie ; mais il se pourrait, à toute force, que le goût des Parisiens fût un peu différent de celui des Savoyards. Mme Denis ne m’a point encore fait voir vos commentaires critiques. Je ne crois pas, en général, que Fanime et Mme Durn[1] soient des personnes bien merveilleuses : elles peuvent avoir quelque succès par le mérite des actrices ; mais entre le succès et la gloire la différence est grande. Je connais des armées et des généraux qui n’ont eu ni l’un ni l’autre. Toutes les pièces des Français sont aujourd’hui sifflées de l’Europe. On dit que nous n’avons ni auteurs, ni acteurs, ni argent pour payer les places. Nous voilà in fece Romuli. Où est le temps où l’on donnait Iphigènie au retour de la campagne de 1672 ?

Il ne faut songer qu’à vivre dans la retraite ; et, si les choses continuent à aller du même train, on n’aura plus même de quoi y vivre. Comment se porte Mme d’Argental ? Mille tendres respects à tous les anges. Mme Denis et Mme de Fontaine vous font mille compliments ; et moi, je suis pénétré de reconnaissance.


3647. — À M. DE CIDEVILLE.
Aux Délices, 1er septembre.

Mon cher et ancien ami, je reviens dans mes chères Délices, après un assez long voyage à la cour palatine. Je trouve, en arrivant, vos jolis vers, dans lesquels vous ne paraissez pas trop content de Paris ; et je crois fermement que vous avez raison. Mais avez-vous, dans votre Launai, un peu de société ? Il me semble que la retraite n’est bonne qu’avec bonne compagnie.


Vous savez, mon cher Cideville,
Que ce fantôme ailé qu’on nomme le bonheur
N’habite ni les champs, ni la cour, ni la ville.
Il faudrait, nous dit-on, le trouver dans son cœur ;
C’est un fort beau secret qu’on chercha d’âge en âge.
Le sage fuit des grands le dangereux appui,
Il court à la campagne, il y sèche d’ennui ;
J’en suis bien fâché pour le sage.


Ce n’est pas des sages comme vous et moi que je parle ; je suis bien sûr que l’ennui n’approche pas plus de votre Launai que de mes Délices. Je prends acte surtout que je n’ai pas quitté

  1. Personnage de la Femme qui a raison ; voyez tome IV.