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CORRESPONDANCE.

un des plus légers chagrins qu’on puisse avoir dans ce monde. Ces bagatelles sont confondues dans la foule des malheurs publics.

Je désire fort que la nécessité où l’on est de chercher des diversions à tant de désastres ramène un peu les hommes aux belles-lettres, qui sont toujours consolantes. Votre Journal, monsieur, sera continuellement une des plus agréables lectures qui puissent amuser les gens de goût. Je n’aurais guère que des fleurs très-fanées à vous offrir pour votre parterre ; et d’ailleurs on dit qu’il y a des épines qui blesseraient certains lecteurs délicats. Si jamais je fais des psaumes, je vous prierai d’en inonder votre livre ; mais je le ferais tomber. En attendant, je le lis avec un très-grand plaisir,


3644. — À M. LE MARQUIS D’ADHÉMAR[1].
(Août 1758.)

Monsir, j’ai bien reçu la gracieuse lettre qu’avez écrite à moi Suisse, concernant la paix générale ou faite ou prête à faire sous la médiation de Son Excellence de Spada. Être une grande tête « monsir Spada ». J’ai vu d’une satisfaction grande que l’on commencerait par pendre plusieurs ministres ; mais je voudrais un peu plus de particularités, par exemple savoir si on les pendra quatre à quatre, ou six à six. Je suis grandement ébahi, monsir, de sti roi qui court la prétantaine, et qui rosse trois grandes nations l’une après l’autre. J’ai écrit à un savant bénédictin, mon cousin issu de germain, pour qu’il lui plaise chercher dans tous ses livres s’il y a mention par hasard d’un pareil homme que sti roi, et j’attends sa réponse. Je croyais avoir approché (sont à présent cinq ans passés) de sti grand homme, mais ce n’était pas celui-là, car vous saurez que celui que j’ai vu avait un visage doux et des grands yeux bleus, et qu’il avait un esprit fort agréable, mon bon monsir, et qu’il disait des bons mots, et qu’il faisait les plus joulies choses du monde tant en prose qu’en vers, tout en se jouant, et qu’il était bien philosophe. Oh ! c’est celui-là que je regretterai toujours, car je suis philosophe aussi, moi, mais par intervalles, et j’aime beaucoup un grand roi qui est tout comme un homme.

Je crois, Dieu me pardonne, mon bon monsir, que j’irai le Voir quand il sera de loisir, car je suis curieux des grandes

  1. Revue française, mars 1866 ; tome XIII, page 870.