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ANNÉE 1758.

J’imagine que Votre Éminence n’a eu ni le temps ni la volonté peut-être de répondre à la proposition qu’on lui a faite sur l’Angleterre. Si vous ne vous en souciez pas, je vous jure que je ne m’en soucie guère, et que tous mes vœux se bornent à vos succès. Je n’imagine pas comment quelques personnes ont pu soupçonner que mon cœur avait la faiblesse de pencher un peu pour qui vous savez[1] pour mon ancien ingrat. On ne laisse pas d’avoir de la politesse, mais on a de la mémoire, et on est attaché aussi vivement qu’inutilement à la bonne cause, qu’il n’appartient qu’à vous de défendre. Je ne suis pas, en vérité, comme les trois quarts des Allemands. J’ai vu partout des éventails où l’on a peint l’aigle de Prusse mangeant une fleur de lis ; le cheval d’Hanovre donnant un coup de pied au cul à M. de Richelieu ; un courrier portant une bouteille d’eau de la reine d’Hongrie, de la part de l’impératrice, à {{Mme} de Pompadour. Mes nièces n’auront pas assurément de tels éventails à mes petites Délices, où je retourne. On est Prussien à Genève comme ailleurs, et plus qu’ailleurs ; mais, quand vous aurez gagné quelque bonne bataille, ou l’équivalent, tout le monde sera Français ou François.

Je ne sais pas si je me trompe, mais je suis convaincu qu’à la longue votre ministère sera heureux et grand, car vous avez deux choses qui avaient auparavant passé de mode, génie et constance. Pardonnez au vieux Suisse ses bavarderies. Que Votre Éminence lui conserve les bontés dont la belle Babet l’honorait. Misce consiliis jocos[2]. Agréez le profond et tendre respect d’un Suisse qui aime la France, et qui attend la gloire de la France de vous.


3643. — À M. PIERRE ROUSSEAU,
à liège.
À Lausanne, 24 août.

En revenant de Schwetzingen, château de monsieur l’électeur palatin, j’ai reçu à mon passage les deux lettres que vous avez bien voulu m’écrire. Il est vrai que les choses écrites à M. Darget avec la liberté de l’amitié ne devaient pas être publiques, et que ma lettre[3] n’a pas été imprimée bien fidèlement ; mais c’est là

  1. Le roi de Prusse.
  2. Horace, livre IV, ode xii, vers 27, a dit :

    Misce stultitiam consitiis brevem.

  3. c’est le n° 3514.