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vous. Les sujets sont épuisés, et moi aussi. Il n’y a que le cœur qui soit inépuisable. Je voudrais bien que les talents fussent comme l’amitié, qu’ils augmentassent avec les années. Adieu ; mille tendres respects à tous les anges.


3167. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
Aux Délices, 3 mai.

Mon héros, recevez mon petit compliment[1] ; il aura du moins le mérite d’être le premier. Je n’attends pas que les courriers soient arrivés. Il n’y aurait pas grand mérite à vous envoyer de mauvais vers quand tout le monde vous chantera. Je m’y prends à l’avance ; c’est mon droit de vous deviner. Je vous crois à présent dans Port-Mahon ; je crois la garnison prisonnière de guerre ; et si la chose n’est pas faite quand j’ai l’honneur de vous écrire, elle le sera à la réception de mon petit compliment. Une flotte anglaise peut arriver. Eh bien ! elle sera le témoin de votre triomphe. Enfin pardonnez-moi si je me presse. Vous vous pressez encore plus d’achever votre expédition. Il y a longtemps que je vous ai entendu dire que vous étiez prime-sautier[2].


 
Depuis plus de quarante années
Vous avez été mon héros ;
J’ai présagé vos destinées.
Ainsi quand Achille à Scyros
Paraissait se livrer en proie
Aux jeux, aux amours, au repos,
Il devait un jour sur les flots
Porter la flamme devant Troie :
Ainsi quand Phryné dans ses bras
Tenait le jeune Alcibiade,
Phryné ne le possédait pas,
Et son nom fut dans les combats
Égal au nom de Miltiade.
Jadis les amants, les époux,
Tremblaient en vous voyant paraître ;
Près des belles et près du maître
Vous avez fait plus d’un jaloux ;
Enfin c’est aux héros à l’être.
C’est rarement que dans Paris,

  1. Riclielieu était entré à Port-Mahon vers le 20 avril ; mais il ne parvint à s’emparer du fort Saint-Philippe que le 28 juin suivant.
  2. Montaigne, livre II, chapitre x.