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CORRESPONDANCE.

sion de mon cœur. Ce cœur est toujours à vous ; il est toujours français, et ne cessera d’aimer ses anciens amis. Je suis persuadé que vous irez au-devant de tout ce qui pourrait me faire de la peine. Rassurez et aimez votre compagnon de Potsdam, votre bon Suisse V.

Écrivez-moi, je vous prie, aux Délices, où je retournerai bientôt.


3634. — À M. JEAN SCHOUVALOW.
À Schwetzingen, maison de plaisance de monseigneur
l’électeur palatin, 17 juillet.

Monsieur, j’ai reçu, en passant à Strasbourg, le paquet dont vous m’avez honoré, par le courrier de Vienne. J’ai lu toutes vos remarques et toutes vos instructions. Je suis confirmé dans l’opinion que vous étiez plus capable que personne au monde d’écrire l’histoire de Pierre le Grand. Je ne serai que votre secrétaire, et c’est ce que je voulais être.

La plus grande difficulté de ce travail consistera à le rendre intéressant pour toutes les nations : c’est là le grand point. Pourquoi tout le monde lit-il l’histoire d’Alexandre, et pourquoi celle de Gengis-kan, qui fut un plus grand conquérant, trouve-t-elle si peu de lecteurs ?

J’ai toujours pensé que l’histoire demande le même art que la tragédie, une exposition, un nœud, un dénoûment, et qu’il est nécessaire de présenter tellement toutes les figures du tableau qu’elles fassent valoir le principal personnage sans affecter jamais l’envie de le faire valoir. C’est dans ce principe que j’écrirai et que vous dicterez.

Si ma mauvaise santé et les circonstances présentes le permettaient, j’entreprendrais le voyage de Pétersbourg, je travaillerais sous vos yeux, et j’avancerais plus en trois mois que je ne ferai en une année loin de vous ; mais les peines que vous voulez bien prendre suppléeront à ce voyage.

Ce que j’ai eu l’honneur d’envoyer à Votre Excellence n’est qu’une première et légère esquisse[1] du grand tableau dont vous me fournissez l’ordonnance.

Je vois, par vos Mémoires, que le baron de Stralemheim, qui nous a donné de meilleures notions de la Russie qu’aucun étranger, s’est pourtant trompé dans plusieurs endroits. Je vois que

  1. Voltaire l’avait adressée à Schouvalow un an auparavant. (Cl.)