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CORRESPONDANCE.

de vivres, ou de fourrages, ou d’hôpitaux, s’engraissent du malheur public. On dit que l’armée qu’on appelle de l’empire est morte d’inanition et qu’il n’en reste rien, que la plupart des soldats sont retournés chez on se faire laboureurs ou jardiniers : je voudrais que tous les soldats du monde prissent ce parti. La terre a plus besoin d’être cultivée que d’être ensanglantée. Je fais toujours des vœux, madame, pour le territoire de la Thuringe. Si la félicité des peuples dépend des vertus des souverains, le pays de Gotha doit être le plus heureux de la terre.

Je prends la liberté de présenter mon profond respect à monseigneur le duc, et à toute votre auguste famille ; je suis enchanté que la grande maîtresse des cœurs se porte bien ; je me mets aux pieds de Votre Altesse sérénissime.


L’Ermite suisse.

3613. — À M. JEAN SCHOUVALOW.
1er de juin[1].

J’ai l’honneur d’envoyer à Votre Excellence un second cahier, c’est-à-dire un second essai qui a besoin de vos lumières et de vos bontés. Ce sont plutôt des matériaux qu’un édifice commencé, et c’est à vous à daigner me dire si ces matériaux doivent être employés, et à m’indiquer les nouveaux qui pourraient me servir. Il y a un an que je fais des recherches dans toute l’Europe. La matière est bien belle, mais les cours sont bien rares. Presque tous ceux qui pouvaient me servir de bouche sont morts, et il est difficile de démêler la vérité dans la foule des mémoires contradictoires qui me sont parvenus. On m’a communiqué beaucoup de petits détails indignes de la majesté de l’histoire et du héros dont j’écris la vie. Je marche toujours à travers des broussailles et des épines, pour arriver jusqu’à la personne de Pierre le Grand. C’est lui que je cherche à rendre toujours grand, jusque dans les plus petites choses ; et il me semble que cette grandeur rejaillit sur son épouse, l’impératrice Catherine.

J’ai pensé qu’il fallait un peu adoucir quelquefois le style sévère qu’imposent les grands objets de la politique et de la guerre, varier son sujet, l’égayer même avec discrétion et avec mesure, lui ôter l’air insipide d’annales, l’air rebutant de la compilation, l’air sec que donnent les petits faits rangés scrupuleusement sui-

  1. C’est sans doute par erreur que tous les éditeurs ont daté cette lettre de Ferney, dont, à ce moment, il n’était pas encore question.