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ANNÉE 1758.

ami, le chevalier de Chauvelin, l’ambassadeur, ne pourrait-il pas, à votre instigation, dire un petit mot de moi à cet ambassadeur impérial et royal ? Ne pourrait-il pas lui glisser qu’il y a un barbouilleur de papier qui a trouvé son traité admirable, et qui désire d’en écrire un jour les suites heureuses[1] ? Ce serait là une belle négociation ; M. de Chauvelin verrait ce que M. de Staremberg pense. Pour moi, je pense que ce monde est fou, et que vous êtes le plus aimable des hommes.


3612. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[2].
Aux Délices, 20 mai.

Madame, le jour même où je reçus la lettre dont Votre Altesse sérénissime m’honora, j’exécutai ses ordres ; j’écrivis à Berne à un des principaux membres du conseil. On assembla incontinent la chambre des finances. Il se trouva, madame, que dans l’intervalle de ma première lettre et des ordres reçus d’elle en conséquence, la chambre des finances de Berne avait prêté à la ville de Bremen quatre-vingt mille écus qu’elle avait à placer. Votre Altesse sérénissime voit que toutes les affaires de ce monde tiennent à bien peu de chose. Quinze jours plus tôt, l’affaire aurait eu un succès aisé et prompt. Je vais me tourner du côté de Genève. L’État n’est pas riche, il s’en faut bien ; mais les particuliers le sont. Il est vrai que ces particuliers ont, en huit jours de temps, placé quatre millions en rentes viagères à dix pour cent ; cependant il y a encore des citoyens qui se croiraient heureux de confier leur argent à la chambre des finances de Vos Altesses sérénissimes.

Pour donner, madame, un plus plein éclaircissement de la manière dont les Genevois placent leur argent, je ferai d’abord observer que, dès qu’il y a un emprunt ouvert en rentes viagères en France, les pères de famille y placent leur bien, soit sur leur tête, soit sur celle de leurs enfants. Quand il n’y a point de tels emprunts, ils prêtent à Paris, à terme, à la caisse des fermiers généraux du royaume, et retirent actuellement six pour cent de leur argent ; mais, à la paix, ils n’en retireront que cinq.

Puisse-elle bientôt arriver, cette paix si désirable pour les peuples et même pour les princes ! La guerre ruine les grands et les petits, pour enrichir ceux qui pillent les cours et les armées en les servant. L’Europe gémit, tandis que quelques entrepreneurs

  1. Ces suites étaient déjà très-malheureuses. (Cl.)
  2. Éditeurs, Bavoux et François.