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CORRESPONDANCE.
3594. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE[1].
(Grüssau, mars 1758.)

J’ai reçu votre lettre de Lausanne, du 22. En vérité, tous les panégyriques que l’on prononce pendant la vie des princes me paraissent aussi suspects que les ex-voto offerts à des images qui cessent de faire des miracles ; et, après tout qui sont ceux qui apprécient la réputation ? Souvent les fautes de nos adversaires font tout notre mérite. J’ignore s’il y a un Turretin[2] prisonnier à Berlin. Si cela est, il peut retourner à sa patrie sans que l’État coure le moindre risque. On dit que vous faites jouer la comédie aux Suisses ; il ne vous manque que de faire danser les Hollandais. Si vous vouliez faire un Akakia, vous auriez bonne matière en recueillant les sottises qui se font dans notre bonne Europe. Les gens méritent d’être fessés, et non pas mon pauvre président, qui pourrait avoir fait un livre sans beaucoup l’examiner ; mais ce livre n’a fait ni ne fera jamais dans le monde le mal que font les sottises héroïques des politiques. S’il vous reste encore une dent, employez-la à les mordre : c’est bien employé. Les mauvais vers pleuvent ici ; mais vos grandes affaires de votre comédie sont trop respectables pour que je veuille vous distraire par ces balivernes. Adieu. Je suis ici dans un couvent[3] où l’abbé dira des messes pour vous, pour votre âme, et pour vos comédiens.


3595. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 4 avril.

Mon cher et respectable ami, je ne devrais être étonné de rien à mon âge. Je le suis pourtant de ce testament. Je sais, a n’en pouvoir douter, que le testateur[4] était l’homme du sacré collège qui avait le plus d’argent comptant. Il y a sept ou huit ans que l’homme[5] de confiance dont vous me parlez lui sauva cinq cent mille livres qui étaient en dépôt chez un homme d’affaires dont le nom ne me revient pas ; c’est celui qui se coupa la gorge pour faire banqueroute, ou qui fit croire qu’il se l’était coupée. On eut le temps de retirer les cinq cent mille livres avant cette belle aventure.

Certainement, si Mme de Grolée[6] ne se retire pas à Grenoble,

  1. Œuvres de Frédéric le Grand, Berlin, 1852, tome XXIII, page 19. — Cette lettre est tirée de la Bibliothèque de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg.
  2. Vovez la lettre 3601.
  3. Frédéric avait alors son quartier général à Grussau, où il demeura du 20 mars au 18 avril ; voyez le dernier alinéa de la lettre 3598.
  4. Le cardinal de Tencin.
  5. Tronchin, banquier à Lyon.
  6. La comtesse de Grolée, sœur du cardinal de Tencin et tante de d Argental.